21 août 2009
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Villardebelle, vendredi 21 août 2009, 15h15. Plus de compte des jours.
La chaleur pilonne doux, au ralenti, et nul ne s'en étonne ni ne s'en fâche. Ici, on la commente, en prenant des mines de s'en étonner encore, mais guère, eh!
La Route est bouclée pour cette fois, pour autant qu'une telle phrase ait un sens. La boucle ne l'est pas, elle, si tant est qu'elle se boucle, ou la boucle, jamais.
Je ne fais rien, ou guère, ou si peu que c'est à ne pas mentionner, et j'y excelle.
Depuis des jours, le reflux du voyage de retour me porte, pré-écrit et pourtant plein de petits imprévus. Je croyais passer à Carcassonne, j'y ajoute le village de Villardebelle, l'une des lueurs d'entre-feuillage de mon enfance. Pas venu depuis plus, bien plus de quinze ans, et voir, mon "encombrante mémoire" a fait un peu de ménage, car ne me restaient que quelques grandes lignes émoussées. Cà une rue, là le platane planté pour célébrer l'avènement de la première république française.
Je marche encore, avec mon ami Jean, dans les forêts denses et basses, sur les chemins secrets comme des souterrains, qui relient les villages aux hameaux.
Bientôt, passage à Limoges, puis retour à Amiens, et pour peu que la météorologie le permette, un barbecue orgiaque dans le coin de verdure de la maison maternelle.
Tous sont partis à la baignade, et j'aurais sans doute dû les suivre, mais voilà, le carnet est là, et la Route proche encore, et me restent à conter une nuit et un renard, ainsi qu'à me laisser vaguer un peu en guise de conclusion, comme je viens de le faire en introduction.
Je rêve encore de l'ascension du Pic Carlit, pour tout dire. De cette monstre bavante, courte mais exténuante, et de la victoire qu'elle représente pour notre petite équipe. Comme une photo-finish sans course.
Le soir, entre deux gouttes, nous pressentons que demain sera moins qu'un dernier jour, et pas vraiment un autre jour, pas des nôtres d'alors, du moins. Peut-être était-ce l'effet de cette belle ascension, mais nous sentions que ce qui devait être dit l'avait été, et qu'il n'y aurait plus à y revenir, c'est-à-dire qu'il faudrait pour ainsi dire s'obliger à rester un peu sur la Route pour la savourer. Mais au fond, ce serait autre chose, de l'indéfini bien que connu : de la transition. L'amorce du reflux. Alors nous avons sorti le cigare et le cognac, et avons trinqué, fumé et célébré l'aventure, la fraternité, l'amitié de tranchées, les bavantes et les riantes.
Puis, parce que la pluie s'en revenait, et qu'il faisait aussi frais que soir, on s'en est allés se coucher.
Je commençais à somnoler, quand j'entends Matt hurler. Horreur totale, manifestation du cauchemar du routard : l'agression nocturne, quand l'univers se réduit à un mètre carré ou deux. Il hurle, Barre-toi! Barre-toi!. Je hurle pour demander ce qui se passe, et Chris aussi.
"Il y a quelque chose dans l'entrée de ma tente!" Puis "Il a pris un sac!, la poubelle!"
Je lui lance qu'il faut hurler, et frapper le sol, se faire bête féroce.
Tous trois nous y mettons.
Précisons, tandis que l'Inconnu s'enfuit avec un second sac, que j'avais cru entendre Matt parler sourdement au téléphone, trois quarts d'heure plus tôt. Lui croyait que c'était moi... Ce détail glace. Quelqu'un parlait près de nos tentes, en pleine montagne, à la nuit tombée... Puis l'agression.
Dans le calme relatif, je tire mon couteau, et toute nourriture dans ma tente, près de moi, j'emmaillotte, j'empaquète, puis j'écarte de la paroi. Je m'écarte moi-même de l'autre paroi, foutre!
On se crie ce qu'on sait, croit savoir ou comprendre, d'une tente à l'autre. La fermeture Eclair de la tente était fermée : on se rassure, c'est de l'animal. Pas gros, sans doute. Marmotte ou genre de rat. Trouillard, fuyard. N'y reviendra pas.
On en plaisante un peu, et tâche de te rendormir!
Je lis en attendant de retrouver la somnolence.
Trois nouveaux quarts d'heure passent. Le vent chiffonne la nuit. Soudain, près de ma tête, un mouvement plus dur, plus nerveux. Je me redresse, et découvre, sous le drapé de la toile de tente, un horrible mouvement de patte fouineuse, qui gratte son chemin dans ma direction. C'est mon tour de hurler, de cogner droit dessus. Fuite. Les autres hurlent et cognent, choral de démons enragés de tension.
Je confirme, c'est une bête, et pas une grosse, ses pattes sont fines et courtes. Marmotte? Rat quelconque?
On tâche d'en rire plus, mais dans cette zone-tampon, ce cordon insanitaire entre réel tangible et ombres inconcevables, la tension tient lieu de réflexion. Nous commençons à accepter que cette dernière nuit sera blanche. Et à nous préparer à la veille, au retour de l'Inconnu. Le vent tombe.
vers deux heures, Chris hurle à son tour. Nous entonnons le répons.
Puis il lance : "Je l'ai vu! C'est un renard!" et presque aussitôt, Matt réplique, ivre de fatigue et de soulagement : "Alors ça va, j'aime bien les renards!"
Ici, insérons le récit de Chris : il a entendu le maraudeur, ouvert sa tente, et vu un nouveau sac disparaître sous la toile. Il 'est levé et a poursuivi de sa lumière la forme chargée : un renard, long et puissant qui, laissant tomber de son large bec le sac volé, replonge illico la tête dedans pour y repêcher un autre plus petit, mais alors, la lampe l'éblouit, il reste paralysé un instant, lâche tout son butin, et disparaît. Chris récupère la cargaison et se recouche.
Ainsi va la nuit. Lorsque, vers quatre heures, l'emmerdeur me réveille encore en s'attaquant à ma toile de tente, je hurle en riant, tandis que les copains reprennent l'antienne primale. On a fait nos adieux au sommeil, et on voue médiévalement le goupil aux gémonies.
vers cinq heures trente, l'air devient gris. La nuit s'en va, comme déçue, maîtresse blessée d'avoir été dédaignée.
On se lève, maussade. Je retrouve le sac poubelle éventré, à quinze mètres hors de notre triangle. Il a aussi dévoré, sur place, près d'un kilo de pain. Un sac d'un kilo et demi de gâteaux ne sera pas retrouvé.
Il nous a eus, le salopard.
Comme sonnés, nous finissons la route. Comme secoués, nous tressaillons au bruit suspect, au bruit de nuit, même de retour au camping après une digne célébration au restaurant.
La tension et la fatigue nous ont eus, plus sûrement encore.
Chris nuance, et à raison : il l'a vu. Son geste d'aller voir l'agresseur en face l'a purgé de l'irrationnel, et de ce fait, il échappe à cet épuisement-là. Il a raison sur toute la ligne. Dans cet entre-deux, cette marge qui sert de porte de derrière à la fiction, nous n'avons rien vu, sinon un drapé de patte. Le reste à l'imagination, la pire des concubines pour qui est allongé au coeur du réel.
Cette leçon-là est à retenir.
Et pour finir, une conclusion? Ah oui, là comme ça, bien sûr... Une conclusion. Une belle formule pour boucler la boucle, barrer la route. La Route. Il n'y en a pas.
Rien que l'écho des respirations mesurées, des pas lourds et cadencés. L'écho qui ne cesse jamais de rebondir. Et le silence.
La chaleur pilonne doux, au ralenti, et nul ne s'en étonne ni ne s'en fâche. Ici, on la commente, en prenant des mines de s'en étonner encore, mais guère, eh!
La Route est bouclée pour cette fois, pour autant qu'une telle phrase ait un sens. La boucle ne l'est pas, elle, si tant est qu'elle se boucle, ou la boucle, jamais.
Je ne fais rien, ou guère, ou si peu que c'est à ne pas mentionner, et j'y excelle.
Depuis des jours, le reflux du voyage de retour me porte, pré-écrit et pourtant plein de petits imprévus. Je croyais passer à Carcassonne, j'y ajoute le village de Villardebelle, l'une des lueurs d'entre-feuillage de mon enfance. Pas venu depuis plus, bien plus de quinze ans, et voir, mon "encombrante mémoire" a fait un peu de ménage, car ne me restaient que quelques grandes lignes émoussées. Cà une rue, là le platane planté pour célébrer l'avènement de la première république française.
Je marche encore, avec mon ami Jean, dans les forêts denses et basses, sur les chemins secrets comme des souterrains, qui relient les villages aux hameaux.
Bientôt, passage à Limoges, puis retour à Amiens, et pour peu que la météorologie le permette, un barbecue orgiaque dans le coin de verdure de la maison maternelle.
Tous sont partis à la baignade, et j'aurais sans doute dû les suivre, mais voilà, le carnet est là, et la Route proche encore, et me restent à conter une nuit et un renard, ainsi qu'à me laisser vaguer un peu en guise de conclusion, comme je viens de le faire en introduction.
Je rêve encore de l'ascension du Pic Carlit, pour tout dire. De cette monstre bavante, courte mais exténuante, et de la victoire qu'elle représente pour notre petite équipe. Comme une photo-finish sans course.
Le soir, entre deux gouttes, nous pressentons que demain sera moins qu'un dernier jour, et pas vraiment un autre jour, pas des nôtres d'alors, du moins. Peut-être était-ce l'effet de cette belle ascension, mais nous sentions que ce qui devait être dit l'avait été, et qu'il n'y aurait plus à y revenir, c'est-à-dire qu'il faudrait pour ainsi dire s'obliger à rester un peu sur la Route pour la savourer. Mais au fond, ce serait autre chose, de l'indéfini bien que connu : de la transition. L'amorce du reflux. Alors nous avons sorti le cigare et le cognac, et avons trinqué, fumé et célébré l'aventure, la fraternité, l'amitié de tranchées, les bavantes et les riantes.
Puis, parce que la pluie s'en revenait, et qu'il faisait aussi frais que soir, on s'en est allés se coucher.
Je commençais à somnoler, quand j'entends Matt hurler. Horreur totale, manifestation du cauchemar du routard : l'agression nocturne, quand l'univers se réduit à un mètre carré ou deux. Il hurle, Barre-toi! Barre-toi!. Je hurle pour demander ce qui se passe, et Chris aussi.
"Il y a quelque chose dans l'entrée de ma tente!" Puis "Il a pris un sac!, la poubelle!"
Je lui lance qu'il faut hurler, et frapper le sol, se faire bête féroce.
Tous trois nous y mettons.
Précisons, tandis que l'Inconnu s'enfuit avec un second sac, que j'avais cru entendre Matt parler sourdement au téléphone, trois quarts d'heure plus tôt. Lui croyait que c'était moi... Ce détail glace. Quelqu'un parlait près de nos tentes, en pleine montagne, à la nuit tombée... Puis l'agression.
Dans le calme relatif, je tire mon couteau, et toute nourriture dans ma tente, près de moi, j'emmaillotte, j'empaquète, puis j'écarte de la paroi. Je m'écarte moi-même de l'autre paroi, foutre!
On se crie ce qu'on sait, croit savoir ou comprendre, d'une tente à l'autre. La fermeture Eclair de la tente était fermée : on se rassure, c'est de l'animal. Pas gros, sans doute. Marmotte ou genre de rat. Trouillard, fuyard. N'y reviendra pas.
On en plaisante un peu, et tâche de te rendormir!
Je lis en attendant de retrouver la somnolence.
Trois nouveaux quarts d'heure passent. Le vent chiffonne la nuit. Soudain, près de ma tête, un mouvement plus dur, plus nerveux. Je me redresse, et découvre, sous le drapé de la toile de tente, un horrible mouvement de patte fouineuse, qui gratte son chemin dans ma direction. C'est mon tour de hurler, de cogner droit dessus. Fuite. Les autres hurlent et cognent, choral de démons enragés de tension.
Je confirme, c'est une bête, et pas une grosse, ses pattes sont fines et courtes. Marmotte? Rat quelconque?
On tâche d'en rire plus, mais dans cette zone-tampon, ce cordon insanitaire entre réel tangible et ombres inconcevables, la tension tient lieu de réflexion. Nous commençons à accepter que cette dernière nuit sera blanche. Et à nous préparer à la veille, au retour de l'Inconnu. Le vent tombe.
vers deux heures, Chris hurle à son tour. Nous entonnons le répons.
Puis il lance : "Je l'ai vu! C'est un renard!" et presque aussitôt, Matt réplique, ivre de fatigue et de soulagement : "Alors ça va, j'aime bien les renards!"
Ici, insérons le récit de Chris : il a entendu le maraudeur, ouvert sa tente, et vu un nouveau sac disparaître sous la toile. Il 'est levé et a poursuivi de sa lumière la forme chargée : un renard, long et puissant qui, laissant tomber de son large bec le sac volé, replonge illico la tête dedans pour y repêcher un autre plus petit, mais alors, la lampe l'éblouit, il reste paralysé un instant, lâche tout son butin, et disparaît. Chris récupère la cargaison et se recouche.
Ainsi va la nuit. Lorsque, vers quatre heures, l'emmerdeur me réveille encore en s'attaquant à ma toile de tente, je hurle en riant, tandis que les copains reprennent l'antienne primale. On a fait nos adieux au sommeil, et on voue médiévalement le goupil aux gémonies.
vers cinq heures trente, l'air devient gris. La nuit s'en va, comme déçue, maîtresse blessée d'avoir été dédaignée.
On se lève, maussade. Je retrouve le sac poubelle éventré, à quinze mètres hors de notre triangle. Il a aussi dévoré, sur place, près d'un kilo de pain. Un sac d'un kilo et demi de gâteaux ne sera pas retrouvé.
Il nous a eus, le salopard.
Comme sonnés, nous finissons la route. Comme secoués, nous tressaillons au bruit suspect, au bruit de nuit, même de retour au camping après une digne célébration au restaurant.
La tension et la fatigue nous ont eus, plus sûrement encore.
Chris nuance, et à raison : il l'a vu. Son geste d'aller voir l'agresseur en face l'a purgé de l'irrationnel, et de ce fait, il échappe à cet épuisement-là. Il a raison sur toute la ligne. Dans cet entre-deux, cette marge qui sert de porte de derrière à la fiction, nous n'avons rien vu, sinon un drapé de patte. Le reste à l'imagination, la pire des concubines pour qui est allongé au coeur du réel.
Cette leçon-là est à retenir.
Et pour finir, une conclusion? Ah oui, là comme ça, bien sûr... Une conclusion. Une belle formule pour boucler la boucle, barrer la route. La Route. Il n'y en a pas.
Rien que l'écho des respirations mesurées, des pas lourds et cadencés. L'écho qui ne cesse jamais de rebondir. Et le silence.