Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Mes virées, mes carnets...Bienvenue chez moi. C'est-à-dire nulle part.

Recherche

15 août 2009 6 15 /08 /août /2009 22:12
Samedi 15 août 2009, jour 37, 15h30, quelque part entre le refuge de Besines et l'Hospitalet-Près-L'Andorre, bivouac monté tôt, à deux minutes avant l'orage.

Ce journal s'espace, en apparence parce que rien de notable ne se déroule. Je l'ai presque cru. Finalement, me voici avec trois jours à narrer.



Avant-hier, trois silhouettes bien connues erraient sous l'écrasant soleil d'Andorre-la-Vieille. Celui dont la barbe évoque à la fois Fidel Castro et l'Abbé Pierre se frayait un chemin à travers la foule des badauds lécheurs de luxe middle-class en écartant, Moïse crasseux, de ses bâtons repliés, les vaguelettes de graisses adolescentes ou racornies. Cà et là, des Français, des Russes, des Espagnols, tous jouant au petit Dubaï du pauvre. Rêvant d'économies futées sur des produits frelatés, savourant les calculs culbuteurs tournés en anecdotes, contés en sagas.
L'objectif était alors de fuir, pour nous, vers Amélie-les-Bains, y retrouver Ben, et finir les fesses dans la bienfaisante Méditerranée. Etant donné l'aberration généralisée constituée par les transports andorrans, autant se payer un voyage vers le Moyen-Âge, -ce qui revient d'ailleurs au même.
En effet, Andorre est une vallée, une seule, un coup de hache malsainement fertile dans un mur de rocaille, où des fourmis peu scrupuleuses ont choisi de prospérer en marge, riches bohémiens, passagers clandestins sur une voie de garage de l'Histoire.
Jadis, mon grand-père Deleury jouait à berner le gendarme et le douanier en farcissant sa caravane de boîtes de conserve, jusque dans les rideaux des fenêtres ou dans le moteur-même. Il y gagnait trois sous, oui, mais surtout une bonne tranche de rire à la moustache de la maréchaussée.
Aujourd'hui, merde, quelle barbe!
Les contrefaçons côtoient, toute honte bue, les produits originaux, et de même, les échoppes où l'ont peut acheter mp3, briquets ou machettes côtoient les boutiques de luxe. Les comportements y sont les mêmes que dans n'importe quel Duty-Free d'aéroport : l'île aux plaisirs de Pinocchio, moins le plaisir.
On n'a même pas l'excuse de l'achat qui trompe l'ennui de l'attente de l'avion, puisqu'on y est venu exprès.
Oui, l'Andorre, c'est ça : un voyage dont la destination finale est la salle des pas perdus. La perte sans la perdition.
On croit avoir tout vu. Ce n'est pas le cas. Jamais. La Route ne le permet pas.
Ce matin, nous quittons Andorre-la-Vieille après un petit-déjeuner anthologique avec Dominic, le biker le plus cool de Wimbledon. Cette rencontre aura des lendemains.
Nous tendons le cou sous le licou du sac, le naseau vers la nature, le vert, la poussière, la sueur... Notre itinéraire est changé, sans regrets car Ben ne pouvait finalement pas nous rejoindre. Destination Font-Romeu, baroud d'honneur paisible, défi de transformer 2 jours de marche en 4. Nous le relèverons!
Pour cela, il faut se rendre au Pas de la Case. Qu'est-ce que le Pas de la Case? Une fosse à purin du consumérisme, un Tijuana sans les gangs et les putes, une supérette pour pochards déguisée en station de ski, aux façades clinquantes et aux arrière-cours lépreuses. Le pas de la Case est à Andorre-la-Vieille ce que la gueule de bois est à une cuite à la Vodka Leader Price.
On croit avoir tout vu, depuis un promontoire puant la bouse.
Nous apercevons un bus. C'est le nôtre. Nous visons l'Hospitalet-Près-L'Andorre, pour finir, enfin, dans la beauté. Nous approchons. Et plus nous approchons, plus, oh, merde, nom de Dieu, ça se peut pas!
Un défilé de Goya vivants, des saoûlots pas mystiques du tout, des trognes à hurler, des gueules édentées, des cuirs éventrés de cratères, des nez en balles de golf écarlates, mais aussi des indiscernables, des yeux vides ou fuyants, des regards usés et cloués au sol, teints mats, gitans, arabes, africains, petits blancs, tous rasant les murs de la statistique, venus faire divers pleins en ce jour férié, jour de paie liquide déjà rejetée au fleuve fangeux  de la bibine et de la clope.
La puanteur est absurde, car urbaine, au milieu de ces montagnes.
Le chauffeur est un jovial à la trogne à peine moins piquetée que celles de ses ouailles. Ce passeur-là, bien qu'assermenté SNCF, est visiblement le seul Charon de ce Styx d'altitude. D'aucuns le saluent par son prénom. Tous s'installent, et je m'esbaudis. Nous rêvions de lumières crépusculaires à la Manet, mais cette charrette est rêvée par Jérôme Bosch en visite à Barbès.
Je m'installe à côté d'un touriste embarrassé. Devant moi, des Africaines en boubou ou en faux luxe. Deux Arabes épuisés comme des clandestins du bâtiment. Depuis les premiers rangs, les plus imbibés font fuser les lazzis les plus obscènes, s'accusant l'un l'autre de ne plus bander depuis laide lurette.
Un type louche vient me demander de prendre à mon compte une de ses cartouches de cigarettes pour la douane. Je n'en ai tout simplement pas envie, et avant tout, il affiche ce sale sourire merdeux, faux, du mendiant gitan.
Chris, derrière moi, refuse itou, et l'affreux repart vers l'avant. Alors, l'inattendu se produit : le minable parvient à rouler, à la faveur de la bizarrerie des circonstances, le plus dur d'entre nous : Matt-la-bête lui-même. Il parvient à lui fourrer deux cartouches dans les mains, une entière et deux demis. Il n'arrive tout de même pas à faire passer son sac à dos, fermé, mystérieux, douteux.
N'empêche, tandis qu'il nous rejoint à l'arrière, il tire la gueule longue, le Matt. S'est fait eu. Il nous refile notre part du fardeau (la loi autorise une cartouche par tête de pipe). Pas content. On n'en dit rien, mais on l'a mauvaise comme un seul homme.
Le bus démarre, et après un kilomètre peut-être, s'arrête. Didier, le chauffeur, se met à quatre pattes et cherche une bouteille baladeuse. Rigolade générale. Un des ouvriers clandestins explique à Matt, qui s'en tamponne le casque comme d'une tranche de foie, que le chauffeur se doit  d'être responsable.
Bref, finalement, on repart. Bientôt, la douane. Les douaniers sont déjà bien occupés à fouiner dans les chignoles de particuliers. Le chauffeur ralentit, tandis que les deux clandestins lui lancent, hilares, "Fonce, Didier!".
Le bus passe, dans un obscène éclat de rire général, et notre escroc personnel s'en tape cinq avec son complice. Nos dents collectives grincent. Matt me souffle ; "Quand on descend, on laisse les cartouches là où elles sont." Et bien sûr, j'approuve immédiatement.
Parce que, pardon, mais si votre image du contrebandier correspond à Don José à la colle avec sa Carmen, ou à je ne sais quelle vision romantique de longues moustaches jaillies d'une cape et d'un tromblon à l'épaule, de types rudes, malins et méfiants, défiant l'ordre injuste, essayez donc cette version : la crevure à deux sous, pas différente au coup d'oeil du maquereau à la petite semaine, du dealer de gare routière.
L'idée, pour nous, c'est de nous lever et de nous laver de cette excrétion urbaine. Au cloaque les trafics pouilleux.
L'Hospitalet, et ainsi nous faisons. Descendons avec la foule, récupérons les sacs, et commençons à nous éloigner. M'a semblé que le plus faiblard des deux était resté à bord, alors, à la merde!
Mais foin. Le bus nous dépasse, et à sa suite, l'autre des deux sagouins, et il ne court pas après le bus, mais après nous.
"Cartouche! Cartouche!"
Matt et moi, d'une seule voix : "Ben, dans le bus!"
alors, d'une voix étranglée de rage et de désespoir cornéliens, il geint un puissant et fatidique : "Nooon! Pourquoiiiii?"
Le destin, la tragédie, Eschyle chez les rats.
Et nous, toujours d'une voix pseudo-couillonne : "Ben, on croyait que t'étais dedans..."
Et l'autre de presser le pas, plein galop vers le bus, grands gestes sémaphoriques pour un chauffeur qui regarde aussi peu dans le rétroviseur que sur la gueule de ses ouailles.
D'ailleurs, Chris nous dira plus tard que les cartouches abandonnées avaient été repérées par un concurrent.
Pour l'instant, nous faisons route vers l'hôtel le plus proche, plein de touristes, de gens, plus ou moins normaux, bref, de témoins. Si l'autre affreux vient s'y refrotter, il aura fort à faire, et ça ne tournera à son avantage à aucun niveau. Nous prenons un café, nerveux, tendus, prêts à la cogne. Le type repasse, mais ne vient pas à nous. Nous aurions donc pu l'enfumer, car oui, il était SI taré qu'il a accepté notre version directement.
Puis vient un train. Nous pensons qu'il est monté à bord, avec son sale petit camarade. Le temps passe à l'orage. Nous levons le camp. L'ambiance générale, dans l'après-coup de cette adrénaline, est rugueuse. Nous voulons décamper. Vite. Mais d'abord, alors que nous gardons un oeil vers nos arrières, une fanfare épouvantable célèbre le jour de la Vierge en faisant danser un unique couple, hystérique de joie, sur l'air de "cielito lindo", le quasi hymne mexicain. L'orchestre joue mal, le chanteur beugle faux, tous semblent sortis de notre bus. Nous remplissons les outres et FOUTONS LE CAMP!

Bienvenue au pays, au pays de mon cul.

Enfin les marques rouges et blanches, un sentier. Nous commençons à imaginer plaisamment les raclures tentant de nous retrouver sur ce chemin raide. Vaudrait mieux pas, car là où la Route commence, nous sommes chez nous... Après quelques lacets, on fait une pause, et on en reparle. Et on se marre sacrément, même Matt qui l'avait encore amère, car une fois les comptes faits, ces répugnants-là ont pris une belle leçon! Je parodie une voix d'avion pour rappeler de "s'assurer de ne rien oublier sur son siège"... Et je reprends le pathétique "Pourquoiiii?", en imaginant le ruffian désespéré dans son wagon de train... Nous hurlons de rire. Etant donné le crapoteux -mais fascinant- contexte de ces aventures, je vais m'offrir une morale bien triviale, à la mesure de ces deux petits rats d'égout : ils voulaient des cartouches? On leur en a mis une, et une sacrée!
Bon appétit, messieurs.
Partager cet article
Repost0

commentaires