Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.
Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.
Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.
L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.
De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.
ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.
A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.
Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.
L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.
Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.
Pourquoi? Comment plutôt.
Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos trouvée dans un caniveau.
A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.
L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.
On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.
Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.
Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.
Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.
Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.
L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.
L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garçons font rouler des montagnes de muscles.
L’Amérique est une télévision échappée de l’écran protecteur où tout semble et rien n’est.
Ce n’est pas isolé. La série Friends a littéralement inventé le Bo-Bo jusqu’en .
que haïr ici? La jeune fille qui se prend pour sa starlette préférée? Mais d’entre nous, qui ne vit dans son film de chevet?
Le véritable objet de haine n’est pas le peuple, à l’évidence victime. L’objet de haine est le rêve, ce rêve américain d’autant plus chimérique qu’il accepte et assume toutes les acceptions du terme selon les contextes.
Le rêve américain n’est pas, n’est plus, celui qui fait d’un loqueteux un milliardaire. Le rêve américain fait d’un loqueteux un loqueteux fier de l’être. Il est pauvre, mais du bon côté de la barrière, ou de la frontière. Il fait partie de l’Empire, il a droit de Cité. Tous les barmen, les serveurs, les bagagistes, les balayeurs, ici, sont noirs. Mais ils ont le droit d’imiter, eux aussi, de sembler, c’est imprescriptible. Le libéralisme le plus féroce se cache derrière ces caches-misères.
Entre les apparences piétinées de La Paz et les illusions surjouées de Miami , une mince ligne. Le rêve. Le rêve des uns, c’est de rêver comme les autres.
On m’a dit que la bière qui arrosait les villages pouilleux de l’arrière-Bolivie maintenait les populations abasourdies.
Autre peuple, autre opium. Ces publicités, qui ne vantent que les accessoires idéaux d’un mode de vie toujours un pas trop loin, maintiennent ces jeunes Américains dans la non-existence, et font des premières générations les pires kapos, à l’instar de ces Chicanos à fort accent, mais jamais si violents qu’à l’égard de leurs anciens compatriotes, ces gens qui n’ont pas (encore?) le droit de rêver comme eux.
Haïr les Américains, c’est haïr les Lotophages, donc se haïr soi-même, ou ces mômes ivres qui tapaient dans la carosserie de la voiture de Danilo.
Le rêve, la cécité.
Des attitudes, des postures, des tournures. Des codes.
C’est ainsi seulement que l’Amérique existe, lorsqu’elle se reconnaît dans le miroir, nécessairement flatteur.
1-2-3, 1-2-3, 1-2-3... 15 Heures à Miami .
Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.
Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.
Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.
L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.
De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.
ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.
A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.
Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.
L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.
Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.
Pourquoi? Comment plutôt.
Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos trouvée dans un caniveau.
A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.
L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.
On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.
Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.
Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.
Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.
Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.
L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.
L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garçons font rouler des montagnes de muscles.
L’Amérique est une télévision échappée de l’écran protecteur où tout semble et rien n’est.
Ce n’est pas isolé. La série Friends a littéralement inventé le Bo-Bo jusqu’en .
que haïr ici? La jeune fille qui se prend pour sa starlette préférée? Mais d’entre nous, qui ne vit dans son film de chevet?
Le véritable objet de haine n’est pas le peuple, à l’évidence victime. L’objet de haine est le rêve, ce rêve américain d’autant plus chimérique qu’il accepte et assume toutes les acceptions du terme selon les contextes.
Le rêve américain n’est pas, n’est plus, celui qui fait d’un loqueteux un milliardaire. Le rêve américain fait d’un loqueteux un loqueteux fier de l’être. Il est pauvre, mais du bon côté de la barrière, ou de la frontière. Il fait partie de l’Empire, il a droit de Cité. Tous les barmen, les serveurs, les bagagistes, les balayeurs, ici, sont noirs. Mais ils ont le droit d’imiter, eux aussi, de sembler, c’est imprescriptible. Le libéralisme le plus féroce se cache derrière ces caches-misères.
Entre les apparences piétinées de La Paz et les illusions surjouées de Miami , une mince ligne. Le rêve. Le rêve des uns, c’est de rêver comme les autres.
On m’a dit que la bière qui arrosait les villages pouilleux de l’arrière-Bolivie maintenait les populations abasourdies.
Autre peuple, autre opium. Ces publicités, qui ne vantent que les accessoires idéaux d’un mode de vie toujours un pas trop loin, maintiennent ces jeunes Américains dans la non-existence, et font des premières générations les pires kapos, à l’instar de ces Chicanos à fort accent, mais jamais si violents qu’à l’égard de leurs anciens compatriotes, ces gens qui n’ont pas (encore?) le droit de rêver comme eux.
Haïr les Américains, c’est haïr les Lotophages, donc se haïr soi-même, ou ces mômes ivres qui tapaient dans la carosserie de la voiture de Danilo.
Le rêve, la cécité.
Des attitudes, des postures, des tournures. Des codes.
C’est ainsi seulement que l’Amérique existe, lorsqu’elle se reconnaît dans le miroir, nécessairement flatteur.
1-2-3, 1-2-3, 1-2-3...
15 Heures à Miami .
Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.
Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.
Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.
L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.
De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.
ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.
A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.
Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.
L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.
Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.
Pourquoi? Comment plutôt.
Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos trouvée dans un caniveau.
A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.
L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.
On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.
Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.
Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.
Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.
Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.
L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.
L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garçons font rouler des montagnes de muscles.
L’Amérique est une télévision échappée de l’écran protecteur où tout semble et rien n’est.
Ce n’est pas isolé. La série Friends a littéralement inventé le Bo-Bo jusqu’en .
que haïr ici? La jeune fille qui se prend pour sa starlette préférée? Mais d’entre nous, qui ne vit dans son film de chevet?
Le véritable objet de haine n’est pas le peuple, à l’évidence victime. L’objet de haine est le rêve, ce rêve américain d’autant plus chimérique qu’il accepte et assume toutes les acceptions du terme selon les contextes.
Le rêve américain n’est pas, n’est plus, celui qui fait d’un loqueteux un milliardaire. Le rêve américain fait d’un loqueteux un loqueteux fier de l’être. Il est pauvre, mais du bon côté de la barrière, ou de la frontière. Il fait partie de l’Empire, il a droit de Cité. Tous les barmen, les serveurs, les bagagistes, les balayeurs, ici, sont noirs. Mais ils ont le droit d’imiter, eux aussi, de sembler, c’est imprescriptible. Le libéralisme le plus féroce se cache derrière ces caches-misères.
Entre les apparences piétinées de La Paz et les illusions surjouées de Miami , une mince ligne. Le rêve. Le rêve des uns, c’est de rêver comme les autres.
On m’a dit que la bière qui arrosait les villages pouilleux de l’arrière-Bolivie maintenait les populations abasourdies.
Autre peuple, autre opium. Ces publicités, qui ne vantent que les accessoires idéaux d’un mode de vie toujours un pas trop loin, maintiennent ces jeunes Américains dans la non-existence, et font des premières générations les pires kapos, à l’instar de ces Chicanos à fort accent, mais jamais si violents qu’à l’égard de leurs anciens compatriotes, ces gens qui n’ont pas (encore?) le droit de rêver comme eux.
Haïr les Américains, c’est haïr les Lotophages, donc se haïr soi-même, ou ces mômes ivres qui tapaient dans la carosserie de la voiture de Danilo.
Le rêve, la cécité.
Des attitudes, des postures, des tournures. Des codes.
C’est ainsi seulement que l’Amérique existe, lorsqu’elle se reconnaît dans le miroir, nécessairement flatteur.
1-2-3, 1-2-3, 1-2-3... 15 Heures à Miami .
Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.
Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.
Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.
L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.
De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.
ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.
A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.
Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.
L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.
Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.
Pourquoi? Comment plutôt.
Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos trouvée dans un caniveau.
A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.
L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.
On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.
Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.
Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.
Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.
Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.
L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.
L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garç