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Mes virées, mes carnets...Bienvenue chez moi. C'est-à-dire nulle part.

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4 avril 2005 1 04 /04 /avril /2005 20:11

 

Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.

 

Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.

 

Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.

 

 

L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.

 

De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.

 

ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.

 

A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.

 

Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.

 

L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.

 

 

Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.

 

Pourquoi? Comment plutôt.

 

Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos  trouvée dans un caniveau.

 

A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.

 

L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.

 

On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.

 

Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.

 

Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.

 

Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.

 

Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.

 

L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.

 

L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garçons font rouler des montagnes de muscles.

 

L’Amérique est une télévision échappée de l’écran protecteur où tout semble  et rien n’est.

 

Ce n’est pas isolé. La série Friends a littéralement inventé le Bo-Bo jusqu’en .

 

que haïr ici? La jeune fille qui se prend pour sa starlette préférée? Mais d’entre nous, qui ne vit dans son film de chevet?

 

Le véritable objet de haine n’est pas le peuple, à l’évidence victime. L’objet de haine est le rêve, ce rêve américain d’autant plus chimérique qu’il accepte et assume toutes les acceptions du terme selon les contextes.

 

Le rêve américain n’est pas, n’est plus, celui qui fait d’un loqueteux un milliardaire. Le rêve américain fait d’un loqueteux un loqueteux fier de l’être. Il est pauvre, mais du bon côté de la barrière, ou de la frontière. Il fait partie de l’Empire, il a droit de Cité. Tous les barmen, les serveurs, les bagagistes, les balayeurs, ici, sont noirs. Mais ils ont le droit d’imiter, eux aussi, de sembler, c’est imprescriptible. Le libéralisme le plus féroce se cache derrière ces caches-misères.

 

Entre les apparences piétinées de La Paz et les illusions surjouées de Miami , une mince ligne. Le rêve. Le rêve des uns, c’est de rêver comme les autres.

 

On m’a dit que la bière qui arrosait les villages pouilleux de l’arrière-Bolivie maintenait les populations abasourdies.

 

Autre peuple, autre opium. Ces publicités, qui ne vantent que les accessoires idéaux d’un mode de vie toujours un pas trop loin, maintiennent ces jeunes Américains dans la non-existence, et font des premières générations les pires kapos, à l’instar de ces Chicanos à fort accent, mais jamais si violents qu’à l’égard de leurs anciens compatriotes, ces gens qui n’ont pas (encore?) le droit de rêver comme eux.

 

Haïr les Américains, c’est haïr les Lotophages, donc se haïr soi-même, ou ces mômes ivres qui tapaient dans la carosserie de la voiture de Danilo.

 

Le rêve, la cécité.

 

Des attitudes, des postures, des tournures. Des codes.

 

C’est ainsi seulement que l’Amérique existe, lorsqu’elle se reconnaît dans le miroir, nécessairement flatteur.

 

1-2-3, 1-2-3, 1-2-3...
15 Heures à Miami .

 

 

Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.

 

Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.

 

Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.

 

 

L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.

 

De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.

 

ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.

 

A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.

 

Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.

 

L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.

 

 

Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.

 

Pourquoi? Comment plutôt.

 

Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos  trouvée dans un caniveau.

 

A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.

 

L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.

 

On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.

 

Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.

 

Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.

 

Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.

 

Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.

 

L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.

 

L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garçons font rouler des montagnes de muscles.

 

L’Amérique est une télévision échappée de l’écran protecteur où tout semble  et rien n’est.

 

Ce n’est pas isolé. La série Friends a littéralement inventé le Bo-Bo jusqu’en .

 

que haïr ici? La jeune fille qui se prend pour sa starlette préférée? Mais d’entre nous, qui ne vit dans son film de chevet?

 

Le véritable objet de haine n’est pas le peuple, à l’évidence victime. L’objet de haine est le rêve, ce rêve américain d’autant plus chimérique qu’il accepte et assume toutes les acceptions du terme selon les contextes.

 

Le rêve américain n’est pas, n’est plus, celui qui fait d’un loqueteux un milliardaire. Le rêve américain fait d’un loqueteux un loqueteux fier de l’être. Il est pauvre, mais du bon côté de la barrière, ou de la frontière. Il fait partie de l’Empire, il a droit de Cité. Tous les barmen, les serveurs, les bagagistes, les balayeurs, ici, sont noirs. Mais ils ont le droit d’imiter, eux aussi, de sembler, c’est imprescriptible. Le libéralisme le plus féroce se cache derrière ces caches-misères.

 

Entre les apparences piétinées de La Paz et les illusions surjouées de Miami , une mince ligne. Le rêve. Le rêve des uns, c’est de rêver comme les autres.

 

On m’a dit que la bière qui arrosait les villages pouilleux de l’arrière-Bolivie maintenait les populations abasourdies.

 

Autre peuple, autre opium. Ces publicités, qui ne vantent que les accessoires idéaux d’un mode de vie toujours un pas trop loin, maintiennent ces jeunes Américains dans la non-existence, et font des premières générations les pires kapos, à l’instar de ces Chicanos à fort accent, mais jamais si violents qu’à l’égard de leurs anciens compatriotes, ces gens qui n’ont pas (encore?) le droit de rêver comme eux.

 

Haïr les Américains, c’est haïr les Lotophages, donc se haïr soi-même, ou ces mômes ivres qui tapaient dans la carosserie de la voiture de Danilo.

 

Le rêve, la cécité.

 

Des attitudes, des postures, des tournures. Des codes.

 

C’est ainsi seulement que l’Amérique existe, lorsqu’elle se reconnaît dans le miroir, nécessairement flatteur.

 

1-2-3, 1-2-3, 1-2-3...

 

 

15 Heures à Miami .

 

 

Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.

 

Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.

 

Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.

 

 

L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.

 

De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.

 

ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.

 

A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.

 

Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.

 

L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.

 

 

Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.

 

Pourquoi? Comment plutôt.

 

Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos  trouvée dans un caniveau.

 

A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.

 

L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.

 

On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.

 

Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.

 

Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.

 

Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.

 

Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.

 

L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.

 

L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garçons font rouler des montagnes de muscles.

 

L’Amérique est une télévision échappée de l’écran protecteur où tout semble  et rien n’est.

 

Ce n’est pas isolé. La série Friends a littéralement inventé le Bo-Bo jusqu’en .

 

que haïr ici? La jeune fille qui se prend pour sa starlette préférée? Mais d’entre nous, qui ne vit dans son film de chevet?

 

Le véritable objet de haine n’est pas le peuple, à l’évidence victime. L’objet de haine est le rêve, ce rêve américain d’autant plus chimérique qu’il accepte et assume toutes les acceptions du terme selon les contextes.

 

Le rêve américain n’est pas, n’est plus, celui qui fait d’un loqueteux un milliardaire. Le rêve américain fait d’un loqueteux un loqueteux fier de l’être. Il est pauvre, mais du bon côté de la barrière, ou de la frontière. Il fait partie de l’Empire, il a droit de Cité. Tous les barmen, les serveurs, les bagagistes, les balayeurs, ici, sont noirs. Mais ils ont le droit d’imiter, eux aussi, de sembler, c’est imprescriptible. Le libéralisme le plus féroce se cache derrière ces caches-misères.

 

Entre les apparences piétinées de La Paz et les illusions surjouées de Miami , une mince ligne. Le rêve. Le rêve des uns, c’est de rêver comme les autres.

 

On m’a dit que la bière qui arrosait les villages pouilleux de l’arrière-Bolivie maintenait les populations abasourdies.

 

Autre peuple, autre opium. Ces publicités, qui ne vantent que les accessoires idéaux d’un mode de vie toujours un pas trop loin, maintiennent ces jeunes Américains dans la non-existence, et font des premières générations les pires kapos, à l’instar de ces Chicanos à fort accent, mais jamais si violents qu’à l’égard de leurs anciens compatriotes, ces gens qui n’ont pas (encore?) le droit de rêver comme eux.

 

Haïr les Américains, c’est haïr les Lotophages, donc se haïr soi-même, ou ces mômes ivres qui tapaient dans la carosserie de la voiture de Danilo.

 

Le rêve, la cécité.

 

Des attitudes, des postures, des tournures. Des codes.

 

C’est ainsi seulement que l’Amérique existe, lorsqu’elle se reconnaît dans le miroir, nécessairement flatteur.

 

1-2-3, 1-2-3, 1-2-3...
15 Heures à Miami .

 

 

Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.

 

Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.

 

Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.

 

 

L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.

 

De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.

 

ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.

 

A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.

 

Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.

 

L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.

 

 

Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.

 

Pourquoi? Comment plutôt.

 

Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos  trouvée dans un caniveau.

 

A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.

 

L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.

 

On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.

 

Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.

 

Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.

 

Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.

 

Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.

 

L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.

 

L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garç
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31 mars 2005 4 31 /03 /mars /2005 20:09

Isla del Sol, 22h06.
Tout ça, c’est déja loin. J’ai parcouru aujourd’hui à peu près toute la fameuse île du Soleil, modérément sensible aux ruines Incas. Bien sûr, c’est fort impressionnant de voir le labyrinthe encore à peu près debout après des siècles, mais je suis plus intéressé par leurs connaissances techniques aue par leur mysticisme.


Respectons, respectons, mais le paysage vaut mille cailloux gravés. Le Chilien, Christian, qui grattait la roche m’a notoirement amusé. Armé d’un bel attirail (brosse à vêtements, couteau et agenda 2004 en guise de carnet), il interprétait à peu près tout et faisait remonter l’ensemble à l’Atlantide. Mais bien sûr...
J’ai nettement préféré terminer la journée avec Grégoire et Fabienne, Suisses très sympas, dont les idées sur le voyage en Amérique Latine ne sont pas bien loin des miennes.
Passé du très bon temps avec Heiko Glaser, le banquier allemand, mais lorsqu’il est parti, je n’étais pas mécontent de me retrouver seul, surtout pour cette dernière partie de chemin Inca. Magnifiques panoramas, j’ai vraiment épongé les fatigues de la semaine dernière, je me sens en forme et serein. La jungle est loin, Mexico me manque, je suis prêt à me remettre au travail.

 

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28 mars 2005 1 28 /03 /mars /2005 20:06

23h55. La Paz.

L’assaut final... Il est venu en (au moins!) deux temps, l’assaut final. D’abord, une journée dans l’Enfer Vert de Bolivie, ce qui était pour moi rien moins que de la jungle. Arbres à branches entrelacées, croisées, à 1,50m de hauteur, m’obligeant à m’accroupir pour passer avec mon sac trop haut. Le marécage presque permanent aussi, surtout au début, ou du moins les pierres moussues et suintantes. Du cassage de gueule potentiel permanent, avec parfois un précipice sur le bord du chemin. Et tout ça tout seul. Je n’ai pas vraiment ressenti cette solitude comme pesante, mais il est évident que cela ajoutait au stress de cette journée que je redoutais depuis des mois.
Et cette journée dura treize heures!
Quatre heures du régime susmentionné, durant lesquelles seule l’illusion d’arriver bientôt m’empêchait de m’inquiéter. Le pire (ou disons plutôt “le plus dur”) restait à venir. Quand j’ai retrouvé Leonardo et Mariana, que je les ai vus cuire au soleil d’une clairière, lui asséché, elle le genou en compote, j’ai senti que je commettrais une indignité, ou du moins une belle hypocrisie, en les laissant se démerder. Après tout, j’avais énormément de matériel et de savoir-faire, c’était une sorte de devoir que de les aider comme je pouvais.
Et puis, j’en avais marre de cette jungle, je me suis dit qu’elle serait moins chiante à plusieurs. Tout ce groupe paraissait sympathique, et la suite m’a donné raison, ô combien!


Peut-être que la solitude révèle certains aspects de nos personnalités ou tout simplement nous pousse à la générosité. Pas pour tous, probablement, mais j’étais réellement heureux de les aider, de partager eau, bonbons et médicaments, d’échanger des blagues, à se remonter le moral les uns les autres.
Mes deux compagnons se sont avérés d’excellente compagnie. Cette Mariana-là a fait preuve d’un grand courage, avec son genou en purée. Je pense aussi que ma présence a servi de médiateur, ou d’agent de distraction, ce qui aura évité à la jeune fille de paniquer ou simplement de craquer.
Nous avons donc connu, côte à côte, étrangers quelques heures auparavant, la déshydratation et la perte apparente de notre chemin. Combien de valses-hésitations, surtout lorsqu’il a semblé évident que le chemin de ma carte n’était plus celui que nous suivions... Et la soif qui commençait à se faire furieusement sentir.
Finalement, la délivrance vint sous la forme d’un ruisselet de forêt, où nous avons bu comme des trous alors qu’avec nous se trouvaient les quatre jeunes qui m’avaient proposé d’assister à leur rituel à la Laguna Kasiri. Vu leur état (à l’évidence déchirés comme des salauds), je n’ai pas regretté.
Seulement voilâ, à présent il était 18h, un peu plus, et le soleil se couche actuellement une heure plus tard...
Toujours sans avoir réellement mangé, nous avons repris, pour échapper à cette forêt qui m’est constamment apparue malsaine, avec ses suavecitas (lianes) qui cherchent à agripper.
Leo pensait terminer à la lanterne, et... c’est ce qui est arrivé. Jamais je ne verrai un film sur le Vietnam de la même manière. Le stress est permanent, alors que l’univers se réduit progressivement au petit disque de lumière.
Et pourtant, je dois reconnaître que j’y ai éprouvé une certaine jouissance, celle que l’on peut éprouver lorsque, fatigué, on repousse encore la limite.
Quelque chose s’est produit dans la jungle.
Seul, je me serais arrêté avant la nuit. Mais ce petit sens des responsabilités, un peu puérilement héroïque, m’a fait oublier toute peur, jusqu’au serpent sur lequel j’avais failli marcher dans l’après-midi, aux bruits étranges qui hantent toute jungle, et à l’incertitude quant à notre position.
Je me suis amusé -également par souci d’économie de mes piles- à éteindre ma lampe en les attendant. Et là, dans cete obscurité où je ne pouvais pas voir ma main devant mon visage, je me suis senti comme un petit point dans l’univers, presque immatériel, privé de corps visible.
Plus de deux heures de ce régime.
Entendant Mariana pleurer un peu (du moins je crois), j’ai suggéré une pause dans l’obscurité moite. Le temps de boire, souffler, et se raconter des histoires invraisemblables. Je crois que nous avions dépassé l’angoisse pour parvenir au détachement presque fataliste, donc ironique, face à l’adversité. Finalement, une clairière, sur ma suggestion également, a fait notre affaire pour la nuit, la tente partagée et un repas bricolé, suivi d’une conversationsous les étoiles, allongés comme des enfants en vacances, avec Leo, tout cela donc, scellant l’amitié du hasard.
Une nuit courte, donc, mais une de ces nuits dont on se souvient éternellement. Confronter les points de vue sur ce que j’avais tristement noté à Totoral, par exemple, ou sur la situation du pays, replacé dans son contexte international, était nécessaire après mes premières observations. Leo était en général d’accord avec moi, et réciproquement, ce qui signifie pour moi que mon point de vue, guère original, a tout de même le mérite de suivre la bonne voie. C’est une chose en effet d’avoir de nobles réactions et des idéaux touchants, et c’en était déja une de les confronter à la réalité des faits. Cette conversation était une épreuve pour moi, car Leo, en homme éduqué mais authentiquement bolivien, pouvait réduire mes atermoiements en poudre en me renvoyant à Gringoland d’un claquement de doigts.
Il ne l’a pas fait, a plutôt semblé content de découvrir un gringo compréhensif, mais pas au sens misérabiliste-pleurnichard non plus.
Je cherche de toutes façons à ne pas l’être! Les Boliviens savent très bien dans quelle merde ils sont, ils n’ont aucun besoin des larmes du gringo, ni de tape amicale dans le dos!
Bref, un miroir-conclusion de mes premières impressions.
Lessivé, puant, des morceaux de végétation cachés dans tous les replis de mes vêtements ou de mon sac, vautré sur le sol dur de la clairière, j’ai commencé à me sentir un peu plus en paix avec tout ça.
Et même avec les invraisemblables éléments naturels que je venais de traverser.

Le lendemain a été une rigolade, en ce qui concerne la marche. Une petite heure et nous voilà à Chirca, petit village réellement accueillant, où nos deux amis retrouvent, dans l’émotion, le reste de leur troupe. Ah ben y-z-étaient inquiets, hein! Accolades, embrassades, (poignées de main pour moi, mais c’est un peu normal: Encore là, le Profesor?). Arrivés dans l’après-midi de la veille, ils avaient eu le temps de sentir l’angoisse monter, au fil des récits terrifiants de l’une des vieilles villageoises: pumas, léopards, singes et serpents habiteraient la jungle, deux güeritas auraient disparu corps et biens il y a peu, jusqu’au fantôme de son frère suicidé se baladant dans le secteur. Bon. Bref.
J’ignore et ignorerai toujours si de telles bestioles occupent vraiment cette jungle, mais cette épreuve était bien réelle, et mes difficultés à dormir, me voyane encore focalisé sur les ombres créées par ma torche, m’ont bien montré que ce petit Enfer avait bien été un Enfer.
Aujourd’hui, installé dans un canapé du Morumbi, propre, CNN en espagnol piaillant dans un coin sur l’agonie du pape, je suis partagé entre le soulagement de m’en être sorti, et le manque. Ces heures passées dans la jungle nocturne m’ont épouvanté et pourtant, je n’ai absolument jamais ressenti d’angoisse. Il s’agissait d’un effroi tout intellectuel, mais en situation, j’ai réellement adoré éteindre ma lampe et disparaître dans cette sauvagerie. La jungle rend fou, c’est connu. Là non plus, l’homme, et surtout l’homme blanc, n’a aucune place.
C’est la pensée qui m’a martelé le crâne dans le bus de retour, en contemplant les flancs de montagne abrupts recouverts de cette végétation. Si je n’y étais pas entré, j’aurais conservé cette défiance inquiète, peureuse, à l’égard de ce milieu sauvage par excellence. Quelque chose a changé dans cette jungle, que j’avais sans doute déja éprouvé sur glace ou en escalade, mais que j’avais sans doute un peu oublié. Une barrière a été repoussée, et je ne peux le comprendre qu’à présent.
Hier, en échangeant des blagues et des anecdotes avec le groupe, en les régalant de mes meilleures conneries (l’invasion de la Suisse par l’Union Européenne, historie de créer des liens fraternels, leur a bien plu), je n’y pensais pas.
Ces heures passées sur la place de Chulumani, à téter le Coca que j’offrais à la troupe, typiques de la fin de raid, élastiques et molles, n’étaient pas encore le temps de la prise de conscience. Le retour à La Paz, avec un dîner pris en compagnie d’un Australien répugnant, plus con qu’un gringo et plus blasé qu’un Français en exil, ne voulant absolument rien comprendre aux pays qu’il traversait, ce retour ne m’a pas encore permis de me réveiller, si ce n’est en contemplant mon reflet dans le miroir: la gueule brûlée, j’avais encore de la boue sur la joue.

 
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27 mars 2005 7 27 /03 /mars /2005 20:05

06h55.

Je vais donner l’assaut final. 1500m de descente jusqu’à Chulumani. Je ne sais pas ce que je vais trouver comme chemin, mais je m’attends au pire. Je veux faire ce trajet rapidement, car j’ignore s’il y a des dangers de type animal. Il est temps d’y aller.

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26 mars 2005 6 26 /03 /mars /2005 20:02

08h12.

Nuit calme, grand beau temps, nuages de basse altitude en dispersion. Je pense distinguer déja la route. Petite étape en perspective, mais autant en profiter, le cadre est splendide. Par contre, la cure de sommeil commence à me pomper l’air. Douze heures de sommeil par nuit, c’est décidément trop!

16h30. Quelque part sur les flancs du Cerro Astillero, sans doute un peu avant (3370m).

Putain quelle journée! Commencé très cool, montées calmes, petites descentes, jusqu’à être rattrapé par les jeunes d’hier après-midi, une incroyable congrégation internationale, qui s’était finalement arrêtée pour la nuit. tous très sympas, ils avaient à la traîne une jeune fille avec un genou mal barré. Fait un bout de chemin avec elle. Ma conclusion est que le monde enchanté de la tendinite est pour elle... Après discussion avec les autres, genre “chefs de groupe”, on s’est donnés rendez-vous vers le Cerro Astillero pour camper tous en choeur. Entre-temps, on se souhaite bon voyage. Et, peu de temps après, oh là là putain! Les deux pieds dans la boue, jusqu’aux genoux, si j’ose dire. Eternelle redécouverte que cette sensation de merde. De plus, petits passages de forêts malsaines et très basses, qui accrochent la putain de tente et m’empêchent de passer, le tout dans les nuages.

J’étais bien content de retrouver mes compagnons de route, qui iront finalement camper plus loin. Ils ont l’admiration, un peu dubitative pour certains, pour mon sac énorme et mon parcours solitaire. Certaines filles me regardent non sans intérêt: drôle de petit mec, ce p’tit blanc. Les choses deviennent franchement chaleureuses lorsque je leur donne la bouffe dont je n’aurai pas besoin. J’en suis soulagé, c’est plus léger et je ne serai pas embarrassé avec ça demain. “Applaudissements pour le Professeur!” On discute, on se remercie, on se félicite, et on promet de se voir demain, ou à La Paz. L’un d’entre eux vient me demander si je pourrrai emporter un cadeau pour son frère, étudiant à l’UNAM. Con gusto! Une telle scène fait chaud au coeur. Je me sens plus McCandlessien que jamais, perché tout seul dans ma montagne, ayant plu. Mes imitations de l’accent mexicain fresa (snob) ont remporté l’adhésion, et ils m’ont laissé une petite provision de feuilles de coca pour demain. Malgré les merdes d’aujourd’hui et la descente de demain, que je ne prévois pas plus drôle, je suis encore bien ce soir.

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25 mars 2005 5 25 /03 /mars /2005 19:59

07h05.

VICTOIRE!!! Temps dégagé, mers de nuages, grand bleu, lever de soleil sur le Mordor, bref, hourra! J’ai gagné mon pari, et je peux rire au nez des voyageurs trop pressés qui me lançaient qu’ils descendaient vers le beau temps. 24h d’attente récompensées par un paysage magnifique, ça s’appelle de la poésie montagnarde! Ca valait le coup. Je le referai s’il le faut. J’ai appris et gagné quelque chose, aujourd’hui!

16h20. Derrière le Mordor (Khala Ciudad).

26°C. Nuages alternés de beau temps. 3752m.

Bien marché, quoiqu’assez peu de temps. Départ tranquille vers 09h40, arrivé vers 15h15-15h30. Paysages magnifiques...quand on peut les voir! Les nuages d’humidité ont commencé à remonter au fil de ma marche. Plus vu grand-chose après le Cerro sans nom, donc. Sur la dernière partie, me suis trouvé un peu faible sur une tirée Est, déshydratation possible. J’ai plus de trois litres d’eau, purifiée aux gouttes, ça devrait aller, même jusqu’à Chulumani s’il le fallait (mais je referai le plein demain, on ne sait jamais).

Trouvé un chouette coin de bivouac, je devrais être tranquille sauf en cas de mauvais temps, mais c’est toujours comme ça! L’altitude se fait peut-être sentir un peu, je me sens claqué. Il fait chaud. Après tout, j’ai monté la majeure partie du temps, puisque j’ai encore gagné 100m! Demain, une dernière montée avant le commencement de la grrrrande descente sur Chulumani (1800m d’altitude!). Je pense la fractionner en dormant au Cerro Sokala Punta, pour éviter aussi de dormir à trop basse altitude (insectes...). La dernière journée devrait être longue en kilomètres, mais comme ça descend, et relativement progressivement, en partant tôt, je devrais arriver en milieu d’après-midi. Tant mieux! Pas envie de traîner à Chulumani, si c’est engageant que les autres bleds!

Un ajout: Ce matin, j’ai hésité à suivre quatre jeunes gaillards vers la fameuse Laguna Kasiri, soi-disant enchantée. J’étais bien parti pour, malgré une ou deux réticences. Ok, ils mettaient un côté rituel dans leur défiance de la superstition qui ne pouvait que me plaire, et il semble que ladite lagune soit magnifique, mais bon, quatre jeunes, une fois bourrés, (parce qu’il s’agissait forcément de ça, au minimum, aussi), ça peut vouloir se payer un güero. Un autre groupe est passé, qui m’a dissuadé, disant que le chemin était peut-être barré par la suite, et (confirmation par une bonne observation de la carte), qu’il me faudrait faire deux violentes montées et une descente proportionnelle. Sans regrets donc, j’ai largué la foutue lagune, je passerai la nuit ma pleine lune en solo, après tout c’est ce que je suis venu chercher. C’est autrement plus dans mon état d’esprit que de me bourrer la gueule à mi-raid avec des gusses que je ne connais ni d’Eve ni de Satan. Bon, un peu de lecture à présent. Qu’il est bon ce silence.

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24 mars 2005 4 24 /03 /mars /2005 19:52

09h20. 09°C. Humidité extrême: la pluie s’est arrêtée il y a 1/4 d’heure environ. Vent léger.

Une sortie m’a confirmé ce que je pense depuis 3 heures du matin environ. On est dans les nuages. On aperçoit le soleil, donc couche brumeuse légère, typique de ce que j’avais lu sur les Andes. Cette nuit, tout s’était dégagé, et j’avais enfin pu avoir un peu de paysage. Mais là, aujourd’hui, rien du tout. Ca me gonfle sévère! Depuis trois jours, je n’ai pas vu grand-chose!

Ma décision est prise: je ne bouge pas tant que je n’y vois pas plus clair.

 

J’ai de toutes façons une immense marge de temps, du fait de mon départ à la con, -pas de regrets toutefois, j’en aurais chié pour pas grand-chose- et de l’aberrante facilité du trek: il doit me rester une quinzaine de kms à faire, et j’ai au moins 5 jours pour ce faire...

Tout ça est assez rageant. Je trouverai sans problème à m’occuper pendant les jours supplémentaires à La Paz, et je n’ai envie d’écourter ni mon séjour bolivien ni mon équipée montagnarde, mais l’idée que de toutes façons, la représentation que je m’en faisais était plus dure que la réalité me ronge un peu. Ou alors, je suis vraiment en grande forme.

Toujours pas envie de faire autre chose pour l’instant, quoique je me demande comment je vivrai l’inaction à La Paz. Ca fait partie du jeu, cependant.

La Norvège 99 avait laissé un goût amer. Cette fois, je fais le pari de rester jusqu’aux conditions souhaitées. Ca peut se dégager d’une minute à l’autre. Ecole de patience... Je dois rester motivé, prêt à continuer. De toutes façons, je crois que l’eau ne sera pas un problème, et j’ai de la bouffe pour au moins huit jours... Ah merde, hein, j’ai fait des milliers de kms, payé pas mal de fric, et je me suis entraîné à fond, ce n’est quand même pas pour marcher dans les nuages! Allez, c’est décidé, je reste. On verra plus tard.

13h15, 19°C (tente). Amélioration du temps, moins de précipitations. (Le baromètre remonte).

L’heure butoir approche, et on est toujours dans les nuages. Je reste, donc. Toujorus aucun effet de l’altitude, je suppose que maintenant, de toutes façons, le pire serait passé. Comme toujours dans ces cas-là, je lis. Cette fois, la bio du Che par Paco Ignacio Taibo II. Plus qu’indiqué. Je vis mes rencontres pluri-quotidiennes avec les campesinos hors d’âge (“Eooooow.....”) plus agréablement, du coup. Je découvre en Guevara le même romantisme aventurier que chez McCandless, voire moi-même.

Après tout, que fous-je ici? Moi aussi, j’aime à répéter que je ne sais pas ce que je ferai plus tard. Mais est-ce si vrai? Les choses commencent à me porter dans la bonne direction, et si l’action est au rendez-vous, je me laisserai faire. Non pas que j’abandonnerai le monde, mais je ne me gâcherai pas volontairement pour autant. L’auto-sacrifice peut servir de masque à l’indécision, et je déteste l’indécision, surtout si c’est la mienne. C’est peut-être une des choses que je suis venu chercher ici, au-delà d’un héroïsme déja rance. Il y en aura toujours de plus aventureux que moi, de toutes façons.

Mais ce machin-là, qui est plus rude que l’exil (doré!) à Mexico, c’est peut-être bien le test final d’indépendance. Et que faire d’un tel brevet? L’employer à recommencer, m’en servir de passeport définitif? Ou aurai-je atteint mon Everest personnel, au-delà duquel il n’y a plus de sommet? Cette possibilité ne m’angoisse pas. J’ai assez de costumes différents pour en trouver quelques-uns à ma convenance, selon les saisons. En revenant de ce raid, bien avant de reprendre l’avion, je saurai. Le plus drôle est que je sais déja. J’ai déja la confirmation universelle d’une vieille tradition montagnarde, qui permet d’aller n’importe où, mais pas à pas. De quoi puis-je avoir peur à présent? Que ne puis-je entreprendre? Qu’est-ce qui pourrait me retenir?

16h. Baromètre en hausse. Très peu de pluie. Humidité en baisse.

Raphaël le Mexicain. Totoral, entre autres.

J’ai fini par comprendre que le monde d’un habitant de Totoral ou d’Ikiko se limitait pratiquement à chacun de ces villages. Quand la petite bergère, sans doute d’Ikiko, m’a répondu qu’elle ignorait le nom dudit village, j’étais effaré. Puis vinrent les gosses de Totoral, qui me regardaient comme au zoo. La question n’était plus “D’où tu viens?”, mais “Comment s’appelle ton village?” J’ai répondu Mexico, rigolant à peine intérieurement. Z’ont pas moufté. Pour eux, c’est un pueblo. Bien essayé de leur dire que mon village comptait dans les 20 millions d’habitants, mais voilà, qu’est-ce qui se compte par millions, à Totoral? Rien.

Le monde à la dizaine.

“Combien coûte une voiture, chez toi?

-J’en sais rien.

-15? 20?35 dollars?”

J’ai fini par dire que oui, et inventer avec eux toute l’échelle des prix qui vont avec. J’ai oublié la France, avec eux. J’ai vite compris que mon espagnol, peut-être truffé d’impuretés, était mille fois mieux structuré, clinquant, étincelant que le leur. Pour eux, avec ma connaissance rigolarde des Pumas de l’UNAM et du nom d’un ou deux de leurs joueurs, pour eux donc, je faisais un Mexicain tout à fait présentable. Je ne suis pas sûr que l’Europe ait été découverte par ces Indiens-là, Colomb à l’envers. Un mouflet nous a mis à égalité: je parle espagnol et un peu de français, lui espagnol et quechua. Mais il voulait quand même que je lui dessine un mouton, c’est à dire que je lui apprenne l’anglais! Et pourquoi pas le danois ou l’allemand? Ils se souviendront sans doute quelques temps de Raphaël, le Mexicain güero. Quelle blague! En attendant, j’ai été heureux de filer, de ne rester qu’un épisode furtif et irréel pour eux. Pas troubler leur écosystème. D’autres viendront, et souhaitons que ce ne soient pas de nouveaux exploiteurs, car pour tous ces petits mondes qui ignorent le nôtre, il est trop tard, la marche est irréversible, enc e qu’ils sont incapables de revenir à leur mode de vie passé et ancestral, et pas encore capables de vivre comme nous. Cela, parce que nous ne les laissons pas vraiment faire, mais aussi parce que les générations que je viens de croiser n’ont pas encore idée du choc en retour. Bien sûr, bons sauvages, ils se seraient bien passés de nous... il y a 500 ans! Tous ces braves malheureux se foutent bien des empereurs incas dont ils ne connaissent ni les noms ni même l’existence, mais que nous connaissons et admirons.

Rousseau trouve ses limites sur les flancs de l’Illimani. Les Incas eux-mêmes étaient de grands bousilleurs de civilisations, et ces dernières, allez savoir... Ce n’est pas dans le passé, fût-il proche, qu’il faut regarder, mais dans le présent. Et le présent, ce sont des borgnes, des édentés, qui marchent en sandales ou pieds nus avec un sac en plastique en guise de coupe-vent. Qu’on ne s’inquiète pas, eux ne réclameront jamais du North Face ou du Nike: ils ne savent même pas ce que c’est. Le monde vu de Totoral, ce n’est pas si mal; on a la télévision. On n’a pas trop froid, ni trop faim. Finir sa vie à cinquante ans, plus une dent dans la bouche, ça semble normal. Avec mes 28 ans et mon mètre 75 bien droit, que représenté-je pour eux? Un géant, beaucoup plus jeune que les pères de famille de mon âge? La misère n’est jamais pittoresque. Elle n’est jamais qu’elle-même, elle ne se déguise pas, n’y pense pas, ne cherche pas à paraître autre chose qu’elle-même et lorsqu’on la regarde en face, on a envie de baisser les yeux pour éviter son regard fixe, quelle que soit son opinion, sa position politique, sa religion. Arrive un moment où le jeu du “Comment en est-on arrivés là?” touche lui-même à l’impudeur, précisément à cause de la gentillesse des gens que je croise. Sans même qu’ils puissent s’en rendre compte, ils me rendent indécent. J’ai été horrifié par l’infect Ramiro, mais je crois que je le suis parce que je comprends ici que je ne pourrais lui faire ravaler son immonde et meurtrier machisme, parce qu’il ne comprendrait même pas. Il ne comprendrait pas que mes coups seraient ceux des millénaires de remise en question de la violence sous toutes ses formes, de Socrate à Marx, de Montaigne à Voltaire; ces réflexions développées, paradoxe horrible!, parfois dans les moments mêmes où ses ancêtres entamaient le voyage qui mènerait à l’atroce personnage qu’il est fier d’être. Il prononçait le mot “Aymara” avec fierté pour se définir, l’infâme.

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23 mars 2005 3 23 /03 /mars /2005 19:45

Quelque part près du Cerro Aro Pampa. Alt: 3656m. 15-17°C, 15h10.

Enfin la nature! Coincé entre deux cerros, bien installé malgré un mât de tente plus que foireux, pas de vent ou presque. Environ 4h-4h30 de marche depuis 8h ce matin. Environ 8km. C’est peu mais pas mal, considérant ma charge. Crevant sur la fin, on sent peut-être (enfin!)l’altitude. Je devrais arriver vers les 4000m demain, on verra bien. Physique ok, mollets et dos un peu durs ce soir, mais rien d’anormal considérant...

Hydratation en amélioration, +maté de coca. Ce soir, bonne grosse bouffe en prévision. Je ne pense pas augmenter le rythme, le poids me crève pas mal et surtout, j’ai conservé, voire augmenté mon avance. Comprends pas ces topos.

Revenons à hier. Tres Rios était effarant, Totoral était glauque. Glauque de misère.

Pour ma première virée dans le Tiers-Monde, je ne suis pas déçu. C’est de la vraie pauvreté, pas de la pauvreté de cinéma. D’ailleurs elle n’a rien de photogénique.

Jouer au ballon avec des mômes en guenilles n’a rien de glorieux, c’est déprimant. Hier soir, j’étais une curiosité, et j’ai fait en sorte de le rester. J’ai donc évité de les gaver de bonbons ou de pognon, comme s’il ne fallait pas perturber leur écosystème. et le pire, c’est que l’image correspond. “Prière de ne pas nourrir les pauvres!”. Ce n’est pas seulement moi qui n’ai pas ma place ici, c’est tout simplement l’homme blanc. Ou alors l’inverse, massivement, pour aider vraiment, donner des chussures, pas des sandales. Des écoles, pas des postes de télé. Et que les ravitaillements apportent plus de nourriture que de caisses de bière ou de soda.

La misère, c’est le mi-chemin. Le pas assez.

Civiliser? Ok, pourquoi pas. Je suis sûr que ces cholos seraient heureux de garder leurs yeux et leurs dents après trente ans, et de ne pas être courbés à en toucher le sol du nez à cinquante. Mais comment? Comment envoyer ici moins de Coca-Cola (un comble!) et plus de savoir-faire?

Je n’ai toujours pas la réponse, et la question n’est guère enthousiasmante.

Et la montagne dans tout ça? Elle est là, elle est là. Je suis bien lâche de m’y planquer ce soir mais une nuit à Totoral m’aura suffi. Je pense à tous ces faux-culs du tourisme organisé, ces pseudo-aventuriers qui cherchent une éthique mais aiment tant les visages d’enfants pauvres qui sourient. Ne parlons pas de ceux qui choisissent leurs porteurs népalais en fonction de leur âge, histoire de garder bonne conscience!

Si tu ne peux pas le porter, tu ne marches pas. Je refuse ici et à présent toute aide humaine ou animale pour me soulager. Je réussirai par moi-même ou bien j’échouerai. Comme je suis fier, ce soir, de mon dos endolori. C’est trop tard pour la marche arrière, de toutes façons.

Hier, le deuxième gusse du bus, puis l’immonde Ramiro, péruvien pourri, n’ont eu de cesse que d’essayer, clin d’oeil salace à l’appui, de me cuisiner sur les cholitas. Tas de porcs! Voilà votre fierté éthnique, voire nationale! Ramiro, traître à tes frères Aymara, et quant à l’autre, apparemment pas indien, double traître raciste! Voilà le Blanc dans la montagne: une pompe à fric, et du fric à faire couler dans les ruisseaux les plus sinistres. Même si cette internationale du machisme est universellement répugnante, elle atteint ici le vomitif. On y est, vendons nos soeurs et nos filles, pas seulement pour l’argent, mais aussi parce qu’elles ne sont que des femmes, et qu’on est entre nous, hein, entre hommes, on se comprend. Pour Ramiro, bien content de l’avoir fait un peu flipper avec mon passé imaginaire de vétéran. quand j’y pense, il devait se vieillir aussi (il annonçait vingt ans).

Aujourd’hui, mieux. Les campesinos me regardent toujorus, mais ils viennent me saluer, échanger trois mots sur ma destination (j’invente un rendez-vous avec des amis à l’étape suivante pour décourager toute hospitalité qui achèverait de me déprimer). Je ne compterai bientôt plus les vieillards édentés croisés sur le chemin. Va pour le pittoresque mais avec des limites.

Allez, bon, j’y suis. C’est déja pas mal tout ça. J’aurai au moins approfondi mon questionnement éthique.

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22 mars 2005 2 22 /03 /mars /2005 19:42

18h35, Estancia Totoral, 3171m.

Un jour d’avance! Merde!

Arrivé à Tres Rios vers 13h, mangé vite (pollo dorado) pour m’échapper de ce putain de Ramiro, péruvien décidé à me bourrer la gueule. Du genre à qui je ne tournerais pas le dos. J’ai fui Tres Rios, bled sordide sous la pluie nuagière. Un autre Ramiro m’a accompagné jusqu’à hauteur de... son village. J’ai finalement suivi la route, le chemin étant apparemment inconnu des habitants, qui de plus me regardaient beaucoup. Stressant. Pas sorti de carte ou de boussole.

Histoire de foutre la trouille, je me suis vieilli de cinq ans, et inventé un passé de 10 ans dans l’armée. Le sourire compense. De toutes façons, ce sont surtout les 18 ans environ qui m’inquiètent. Ce soir, après un peu de foot avec des gosses, je comprends mieux. Je suis une rareté, ici. Les gens me regardent comme un martien. Si je ne m’étais pas mis sous la tente, ils seraient encore là, à simplement observer mes étranges manières. Troublant. Il n’empêche qu’avec tout ça, je serai probablement à Chulumani beaucoup plus tôt que prévu. Damned.

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21 mars 2005 1 21 /03 /mars /2005 19:37

15h30, La Paz.

Bien arrivé, aucun problème à signaler. Bonne santé, fatigué, l’altitude sans doute, mais aussi un long voyage (j’appréhende le retour, encore pire) et une semaine passée assez épuisante. Sieste de récupération et grosse nuit à venir. Le soleil se lève vers 7h. T°: chaud au soleil, vite frais à l’ombre. Peu de pluie (ici).

22h30. Tout est prêt. Je suis prêt. Je n’envisage même pas d’autre option. Après des années passées à tergiverser, je suis enfin membre à part entière de ceux qui y vont. Ce voyage m’apparaît comme l’écho, peut-être amplifié, de mon départ au Mexique: j’ai dit que je le ferai, et je le fais. Cette seule satisfaction justifierait tous les sacrifices. Voilà comment on se trouve.

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