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Mes virées, mes carnets...Bienvenue chez moi. C'est-à-dire nulle part.

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28 mars 2005 1 28 /03 /mars /2005 20:06

23h55. La Paz.

L’assaut final... Il est venu en (au moins!) deux temps, l’assaut final. D’abord, une journée dans l’Enfer Vert de Bolivie, ce qui était pour moi rien moins que de la jungle. Arbres à branches entrelacées, croisées, à 1,50m de hauteur, m’obligeant à m’accroupir pour passer avec mon sac trop haut. Le marécage presque permanent aussi, surtout au début, ou du moins les pierres moussues et suintantes. Du cassage de gueule potentiel permanent, avec parfois un précipice sur le bord du chemin. Et tout ça tout seul. Je n’ai pas vraiment ressenti cette solitude comme pesante, mais il est évident que cela ajoutait au stress de cette journée que je redoutais depuis des mois.
Et cette journée dura treize heures!
Quatre heures du régime susmentionné, durant lesquelles seule l’illusion d’arriver bientôt m’empêchait de m’inquiéter. Le pire (ou disons plutôt “le plus dur”) restait à venir. Quand j’ai retrouvé Leonardo et Mariana, que je les ai vus cuire au soleil d’une clairière, lui asséché, elle le genou en compote, j’ai senti que je commettrais une indignité, ou du moins une belle hypocrisie, en les laissant se démerder. Après tout, j’avais énormément de matériel et de savoir-faire, c’était une sorte de devoir que de les aider comme je pouvais.
Et puis, j’en avais marre de cette jungle, je me suis dit qu’elle serait moins chiante à plusieurs. Tout ce groupe paraissait sympathique, et la suite m’a donné raison, ô combien!


Peut-être que la solitude révèle certains aspects de nos personnalités ou tout simplement nous pousse à la générosité. Pas pour tous, probablement, mais j’étais réellement heureux de les aider, de partager eau, bonbons et médicaments, d’échanger des blagues, à se remonter le moral les uns les autres.
Mes deux compagnons se sont avérés d’excellente compagnie. Cette Mariana-là a fait preuve d’un grand courage, avec son genou en purée. Je pense aussi que ma présence a servi de médiateur, ou d’agent de distraction, ce qui aura évité à la jeune fille de paniquer ou simplement de craquer.
Nous avons donc connu, côte à côte, étrangers quelques heures auparavant, la déshydratation et la perte apparente de notre chemin. Combien de valses-hésitations, surtout lorsqu’il a semblé évident que le chemin de ma carte n’était plus celui que nous suivions... Et la soif qui commençait à se faire furieusement sentir.
Finalement, la délivrance vint sous la forme d’un ruisselet de forêt, où nous avons bu comme des trous alors qu’avec nous se trouvaient les quatre jeunes qui m’avaient proposé d’assister à leur rituel à la Laguna Kasiri. Vu leur état (à l’évidence déchirés comme des salauds), je n’ai pas regretté.
Seulement voilâ, à présent il était 18h, un peu plus, et le soleil se couche actuellement une heure plus tard...
Toujours sans avoir réellement mangé, nous avons repris, pour échapper à cette forêt qui m’est constamment apparue malsaine, avec ses suavecitas (lianes) qui cherchent à agripper.
Leo pensait terminer à la lanterne, et... c’est ce qui est arrivé. Jamais je ne verrai un film sur le Vietnam de la même manière. Le stress est permanent, alors que l’univers se réduit progressivement au petit disque de lumière.
Et pourtant, je dois reconnaître que j’y ai éprouvé une certaine jouissance, celle que l’on peut éprouver lorsque, fatigué, on repousse encore la limite.
Quelque chose s’est produit dans la jungle.
Seul, je me serais arrêté avant la nuit. Mais ce petit sens des responsabilités, un peu puérilement héroïque, m’a fait oublier toute peur, jusqu’au serpent sur lequel j’avais failli marcher dans l’après-midi, aux bruits étranges qui hantent toute jungle, et à l’incertitude quant à notre position.
Je me suis amusé -également par souci d’économie de mes piles- à éteindre ma lampe en les attendant. Et là, dans cete obscurité où je ne pouvais pas voir ma main devant mon visage, je me suis senti comme un petit point dans l’univers, presque immatériel, privé de corps visible.
Plus de deux heures de ce régime.
Entendant Mariana pleurer un peu (du moins je crois), j’ai suggéré une pause dans l’obscurité moite. Le temps de boire, souffler, et se raconter des histoires invraisemblables. Je crois que nous avions dépassé l’angoisse pour parvenir au détachement presque fataliste, donc ironique, face à l’adversité. Finalement, une clairière, sur ma suggestion également, a fait notre affaire pour la nuit, la tente partagée et un repas bricolé, suivi d’une conversationsous les étoiles, allongés comme des enfants en vacances, avec Leo, tout cela donc, scellant l’amitié du hasard.
Une nuit courte, donc, mais une de ces nuits dont on se souvient éternellement. Confronter les points de vue sur ce que j’avais tristement noté à Totoral, par exemple, ou sur la situation du pays, replacé dans son contexte international, était nécessaire après mes premières observations. Leo était en général d’accord avec moi, et réciproquement, ce qui signifie pour moi que mon point de vue, guère original, a tout de même le mérite de suivre la bonne voie. C’est une chose en effet d’avoir de nobles réactions et des idéaux touchants, et c’en était déja une de les confronter à la réalité des faits. Cette conversation était une épreuve pour moi, car Leo, en homme éduqué mais authentiquement bolivien, pouvait réduire mes atermoiements en poudre en me renvoyant à Gringoland d’un claquement de doigts.
Il ne l’a pas fait, a plutôt semblé content de découvrir un gringo compréhensif, mais pas au sens misérabiliste-pleurnichard non plus.
Je cherche de toutes façons à ne pas l’être! Les Boliviens savent très bien dans quelle merde ils sont, ils n’ont aucun besoin des larmes du gringo, ni de tape amicale dans le dos!
Bref, un miroir-conclusion de mes premières impressions.
Lessivé, puant, des morceaux de végétation cachés dans tous les replis de mes vêtements ou de mon sac, vautré sur le sol dur de la clairière, j’ai commencé à me sentir un peu plus en paix avec tout ça.
Et même avec les invraisemblables éléments naturels que je venais de traverser.

Le lendemain a été une rigolade, en ce qui concerne la marche. Une petite heure et nous voilà à Chirca, petit village réellement accueillant, où nos deux amis retrouvent, dans l’émotion, le reste de leur troupe. Ah ben y-z-étaient inquiets, hein! Accolades, embrassades, (poignées de main pour moi, mais c’est un peu normal: Encore là, le Profesor?). Arrivés dans l’après-midi de la veille, ils avaient eu le temps de sentir l’angoisse monter, au fil des récits terrifiants de l’une des vieilles villageoises: pumas, léopards, singes et serpents habiteraient la jungle, deux güeritas auraient disparu corps et biens il y a peu, jusqu’au fantôme de son frère suicidé se baladant dans le secteur. Bon. Bref.
J’ignore et ignorerai toujours si de telles bestioles occupent vraiment cette jungle, mais cette épreuve était bien réelle, et mes difficultés à dormir, me voyane encore focalisé sur les ombres créées par ma torche, m’ont bien montré que ce petit Enfer avait bien été un Enfer.
Aujourd’hui, installé dans un canapé du Morumbi, propre, CNN en espagnol piaillant dans un coin sur l’agonie du pape, je suis partagé entre le soulagement de m’en être sorti, et le manque. Ces heures passées dans la jungle nocturne m’ont épouvanté et pourtant, je n’ai absolument jamais ressenti d’angoisse. Il s’agissait d’un effroi tout intellectuel, mais en situation, j’ai réellement adoré éteindre ma lampe et disparaître dans cette sauvagerie. La jungle rend fou, c’est connu. Là non plus, l’homme, et surtout l’homme blanc, n’a aucune place.
C’est la pensée qui m’a martelé le crâne dans le bus de retour, en contemplant les flancs de montagne abrupts recouverts de cette végétation. Si je n’y étais pas entré, j’aurais conservé cette défiance inquiète, peureuse, à l’égard de ce milieu sauvage par excellence. Quelque chose a changé dans cette jungle, que j’avais sans doute déja éprouvé sur glace ou en escalade, mais que j’avais sans doute un peu oublié. Une barrière a été repoussée, et je ne peux le comprendre qu’à présent.
Hier, en échangeant des blagues et des anecdotes avec le groupe, en les régalant de mes meilleures conneries (l’invasion de la Suisse par l’Union Européenne, historie de créer des liens fraternels, leur a bien plu), je n’y pensais pas.
Ces heures passées sur la place de Chulumani, à téter le Coca que j’offrais à la troupe, typiques de la fin de raid, élastiques et molles, n’étaient pas encore le temps de la prise de conscience. Le retour à La Paz, avec un dîner pris en compagnie d’un Australien répugnant, plus con qu’un gringo et plus blasé qu’un Français en exil, ne voulant absolument rien comprendre aux pays qu’il traversait, ce retour ne m’a pas encore permis de me réveiller, si ce n’est en contemplant mon reflet dans le miroir: la gueule brûlée, j’avais encore de la boue sur la joue.

 
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