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Mes virées, mes carnets...Bienvenue chez moi. C'est-à-dire nulle part.

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5 septembre 2005 1 05 /09 /septembre /2005 13:56

Et m'y revoilà, pas à Saïgon, mais bien à Mexico.
La comparaison est bien impropre si l'on considère qu'une bonne part des chers à mon coeur feront leur rentrée sous le ciel maussade de Picardie. Vous ai-je déja dit à quel point je haïssais octobre en Picardie?
Février et mars aussi, mais Octobre... Ça ferait un bon titre de chanson, tiens.

M'y revoilà, donc, bien content, à reprendre mes marques sans grandes difficultés (j'ai retrouvé ma légendaire colocataire, toujours maquilleuse pour le magazine PlayBoy, mais aussi pour le formidable FHM, ce qui me garantit de la lecture gratuite et instructive, mais ne m'a toujours fourni aucun numéro de téléphone affriolant. Triste mais vrai... Pauvre Raphaël, si près du Paradis et si loin de Dieu (Déformation d'un dicton mexicain que je n'éclaircirai qu'à ceux qui en feront la demande expresse).

J'ai recommencé par quelques jours de formation, en dilettante, et dans une ambiance relâchée. Le temps de remettre mon castillan des rues en place, et presque mon français des salons là où il est attendu, c'est-à-dire là où on paye pour l'entendre. 
Là, je vous écris depuis ma bonne vieille médiathèque de San Angel, que certains ont pu découvrir l'an passé, et que j'ai l'impression d'avoir quittée hier.

Hier... Hier à peine... Ah, vous dites-vous, il a enfin fini les considérations vaseuses et les platitudes de carte postale.
D'accord, tombons le masque quelques instants. Ce n'était pas hier, et pourtant, rien n'a vraiment bougé. Je parle de mon champ de vision, bien sûr, pas des reptiles souterrains qui ont fait remuer quelques plaques tectoniques de l'administration de ma vénérée Alliance Française. Non, Mexico n'a pas vraiment
changé, ce qui veut dire que JE n'ai pas vraiment changé, puisque la ville ne m'attendra sans doute pas pour ça.
La France avait changé, oui, un peu. Pas tant que ça, remarquez. Je suis parti pendant qu'on s'inquiétait pour George Chesnot et Christian Malbrunot (je suis sûr que vous les aviez oubliés) et je suis revenu pour la libération de Florence Aubenas... Je suis parti sous Raffarin 2,3 ou 4, c'est comme Rambo, ils n'auraient pas dû faire les suites, et suis rentré sous Villepin Premier, le seul qui annonce son
Waterloo cent jours à l'avance.
Ce que je vous dis là, ce n'est en rien péroraison et commérage d'exilé, mais bien vos et nos conversations estivales, si j'omets les hectares de forêt en feu, la Sarko Academy et la canicule qui n'a pas eu lieu ou presque. Françaises, Français, mes chers compatriotes, la France est toujours un bien beau pays inquiet, et avec raison! N'est-il pas cocasse de regarder la rue en pensant qu'un sur dix de nos badauds ne va ni ne revient du travail, puisqu'il n'en a pas? Pas vraiment. N'est-il pas effarant de voir que le débat politique est toujours concentré autour de l'éternelle course à l'échalote, et toujours pas sur la résolution des quelques grands chantiers que l'on entretient au lieu de les ñener à bien? Oh que si. 
En comparaison, ici, on en découvre de bien bonnes, mais du même tonneau: Les présidentielles approchent. 
Ceux qui connaissent un peu la politique mexicaine (Inutile de lever le doigt, je sais combien vous êtes) se souviennent de certains événements de l'an passé, dont la destitution douteuse du gouverneur de Mexico par l'hilarant président Fox. ce dernier accusait le premier de corruption (je simplifie) parce qu'il n'avait pas tous les papiers en règle pour construire quelques kilomètres de route. Je ne blague pas! Dans ce beau pays, où les scandales pèsent un peu plus lourds, ou mieux, dans le nôtre, ça fait un peu rigoler. Ça n'avait pas fait rire du tout ni Andres Manuel Lopez Obrador (alias AMLO parce que ça fait long), qui avait réuni un million ou deux de ses amis sur la place du Zocalo, histoire de faire un peu trembler les vitres du palais présidentiel voisin. Ça avait marché! Destitué, le petit Amlo (à côté du Grand Fox) ne sera pas "empêché" de se présenter aux présidentielles. Un genre de "grand pardon" accordé dans la semaine suivante. Résultat: Fox ridicule dans
son acharnement, puis dans sa débandade.
Savoir maintenant si ledit Amlo est fiable... Il dirige actuellement le PRD (Parti radical démocrate), donc plus ou moins la gauche. Mais bon, n'allez pas faire de comparaisons...

Avant de vous raccrocher au nez, laissez-moi vous présenter un autre candidat: le docteur SIMI.Pourquoi SIMI? Pour Pharmacias SIMIlares, les pharmacies similaires, dont le slogan est: "La même chose en moins cher". Mais non, on ne rêve pas. Ce type (Le nom ne me revient pas) possède une chaîne de pharmacies
dites économiques, symbolisées par un personnage ridicule de toubib à moustache blanches, dessin peu intéressant, mais dont la mascotte façon dysneyland arpente la devanture de chacune de ses pharmacies, et vous tripote en passant, au son des pires musiques du moment. Inutile de dire que les envies d'incendies se multiplient à chaque passage, et que la perspective de voter pour un cornichon pareil fait froid dans le dos.
Enfin, si c'est "la même chose en moins cher", cette fois-ci, l'argument risque de porter à vide, étant donné la déception générale.

Mais nous en reparlerons.

Concluons. Comment revient-on après deux mois et demi?
La réponse est: On n'y pense pas. On enchaîne. On s'adapte. Les copains changent, certains s'en vont, certains s'en viennent, et finalement, c'est moi le chanceux, de ressentir une telle émotion en revoyant les visages connus, en une telle cascade.
Cet été a été l'occasion de découvrir quelques-uns d'entre vous, et je n'ai pas été déçu, loin, très loin de là...

L'imprimante chauffe mon avant-bras droit, les rires fusent de la cafétéria, les touches des ordinateurs cliquètent, les collègues défilent pour prendre possession de leur matériel pédagogique... À bientôt chers tous.

El Raph

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25 mai 2005 3 25 /05 /mai /2005 13:49

J'en ai pas parlé, c'est vrai que l'anecdote s'est faite rare depuis mes tribulations post, trop post-révolutionnaires boliviennes.

On arrive au refuge, la cabaña, le machin en fer-blanc qui sert d'abri. Avant, une poignée d'heures de marche dans la végétation pas normale à cette altitude. Puis
le long d'une crête. Puis à flanc d'une arête, avec un désert de sable et de pierraille broyée menue en dessous. Fait froid. Fait frais, selon mes critères.

Depuis mon retour de la Paz, j'avais pris la douche une paire de fois, ça tombait dru et raide tous les soirs, une vraie cochonnerie de salaud, tout froid et pas drôle, une demi-heure à deux heures, on se serait cru déja en septembre.

¡Carajo! que j'disais, et que j'traduisais en explications préambulatoires au frangin. On est mal, la pluie revient, on peut toujours s'asseoir sur la bête, elle nous laissera pas s'approcher des flancs.  Quand il a débarqué, finalement, avec sa dégaine de
commando sud-africain, on a senti le bol. D'abord une Malinche, comme une fleur, l'altitude pas plus dure à digérer qu'un escalier au niveau de la mer, et puis le manque de choix. De toutes façons, y avait pas le choix, c'était ça ou dormir, vu que les autres jours, j'avais cours. Ce serait vendredi, la veille du retour en France, et pis ch'est toute! 
Au refuge, c'est spartiate, mais grand luxe comparé au rares bicoques françaises, jugez plutôt: des conserves, de la bouffe de partout, de la flotte, des couvrantes, un réchaud, une porte qui ferme, des paillasses, et même de la lecture, vu le nombre d'âneries étalées sur les murs. A lire toutes les dédicaces à Maribel ou Fulanito, et je passe les remerciements à Dieu et consorts, on a de quoi attendre les secours.

Mais nous, on n'en aura pas besoin, promis juré. Le gardien de l'entrée du parc nous a dit, ça tombe tous les jours à deux-trois heures, faut descendre avant, sinon gare! Avec Matt, on a dit: 13 heures, où qu'on soit, c'est adieu Berthe. Même deux cent mètres sous le sommet. Même vingt. On en a vu d'autres se faire poisser pour une bête histoire de montagne qui sera encore là l'année prochaine, et même bien après nous.
Le gaillard, il a fallu un moment pour le lever. Le chauffeur du taxi a cogné sur la porte pendant vingt minutes, sous le regard impavide et j'm'en-foutiste d'un militaire hébété, à brailler MUCHACHO comme à s'en faire péter les veines du cou. Et quand le muchacho est arrivé, on a bien rigolé, Fred, Matt et moi: en fait de gamin, c'est un gros sale qui est sorti, qui rigolait bien et qui s'en foutait autant.
Dix pesos de payés, et on peut y aller, à rouler dans la poussière volcanique qui tapisse la route. Le chauffeur du taxi, finalement, a calculé que deux allers et retours, foutre, ça faisait du gasoil, alors, bref, il nous attend, qu'il dit, et puis sait-on jamais, si on redescend plus tôt (il a l'air de penser que ce sera le cas), enfin toujours est-il qu'il sera là, c'est toujours mieux. Et sans supplément de prix, enfin j'ai pas proposé, vu qu'on va lui laisser un joli paquet, pas charrier quand même.

Les derniers mètres, pas facile. On croise un Allemand solitaire qui redescend. Il a laissé tomber le sommet, trop de nuages, il a déja passé une nuit comme ça en
Argentine, c'est pas sain tout ça, auf wiedersehen.
Une crête, on trouve le passage en désescalade, un régal. Pour l'instant, il fait beau. Oui, ils arrivent, les nuages, mais loin. Ils n'ont pas l'air de stagner sur le sommet. La dernière fois, les gens qui m'emmenaient m'avaient fait passer par un chemin de descente, une vraie cochonnerie d'enfant de salaud, raide comme la justice, enfin ça dépend laquelle, et une fois au refuge, ils m'avaient dit, non, non, faut pas y aller, non, faut du matériel, y a de la glace.
Moi, j'avais rien vu. Sur les photos, on voyait pas grand-chose. Oui, des gars redescendaient avec un matos fou, mais moi, je me disais, c'est du chemin, ça doit se faire. 
Fred, elle en a marre. Elle dit, 4800m, c't'un Mont-Blanc, ça ira comme ça, je reste. Nous on dit, boarf, le refuge est pas mal, et si y a moins de nuages, on tente le coup, mais une heure pas plus, de toutes façons à treize heures faut faire demi-tour. On étale du jambon et du fromage sur du pain, je mâche à peine, j'abandonne mon sandwich pas fini. L'altitude, je l'ai pas sentie trop fort. On souffle dur, au début, mais pas de tête qui tourne. On se dit bien qu'à 2000, on ferait ça au petit trot, mais voilà, on est à 4800. C'est ce qui est marqué, en tous cas. Donc là-haut, le bout de sommet qui se devine, la croix, un peu avant le sommet, dont parlait l'Allemand, ça
serait la marque. La marque des 5000. Fichtre les amis. 5000m. Plus haut que le plus haut d'Europe. On a beau s'en foutre comme d'une guigne, dire que les montagnes, on les aime déja pour leur belle gueule et pas tant pour les hauteurs auxquelles elles les perchent, leurs gueules, merde, ça vous en pince un peu quand même. Alors on y va. 
On s'est souvent demandé ce que ça ferait. Pas par curiosité mathématique. Ni physiologique. On sait ce qui se passe quand on monte. Ark ark, on respire mal.
Et après, les risques. Mais bon, quand même, c'est haut. C'est symbolique. C'est un gros chiffre. On n'est un petit machin d'un mètre soixante-quinze, alors pensez, 5000 fois moi, ou presque...

Avec Matt, on se sent bien. On marche tranquillement, on s'arrête plus souvent, on souffle comme des chevaux. D'abord, la croix. Y en a partout, ici, on se croirait dans le Queyras. On nous a raconté, sur la Malinche, que des gaillards montaient les piquer, et réutiliser le métal. Le païen que je suis n'a pu s'empêcher de glousser en pensant à ces commandos de scieurs de croix. La croix, d'en bas, on dirait un sommet, alors on se dit, foutre, jouons pas au cons,les nuages s'agglutinent, ils décollent guère, oui on voit sa main, mais combien de temps, et puis ces petits bouts de plastique rouge, tu parles d'un chemin, des coups à se perdre,oui,allez, on touche la croix et on redescend. Fanfaronnant, je propose même de grimper directement un bout de rocher qui s'avèrera nettement moins bath une fois dessus.

Moi, en octobre, y a rien à faire,ça m'avait gonflé de pas tenter le sommet. Il avait pas l'air bien loin,une heure ou deux. Mais les petits machos qui m'accompagnaient ce jour-là faisaient les frileux, ça roulait moins les mécaniques,"on n'entendait plus
leurs grandes gueules lancer des défis", dirait le Max de Touchez pas au Grisbi. Et même pas foutus de descendre par l'autre chemin, qu'on rigole, qu'on voie du pays...

Et Matt dit: "Ça va pas t'plaire, mais le sommet, il est juste au-dessus!" On a un peu avancé après la croix, vu qu'on avait le temps,que le chemin était mieux marqué, que la brume rapide autour de nous collait pas trop à la pierraille,bref, on a decidé de pousser un peu la chance. Et derrière la Nième butte, oh miracle, un vrai sommet, indubitable celui-là, avec les ruines d'un truc bizarre qu'on dirait un tourniquet pour enfants de géants, sans doute une cabane,décidément c'est une manie de planter des cabanes partout. Ni une ni deux,il est 12h55, on est dans les temps,même si c'est qu'un tas de cailloux, on aura fait un sommet, savez, un de ces machins après lesquels il n'y a plus de montée, bonheur de l'alpinisme.

Pas déçus. L'appareil se fait tirer l'objectif pour nous prendre, il nous floute, ils nous blanchit (sous le harnois,je sais), bref. Le vent n'est pas trop fort, mais il a cette folie, ces changements de directions soudains qu'ont les petits chiens qui se poursuivent en jappant. On se sent déséquilibré, mais on saurait pas dire si c'est lui ou notre propre vent pulmonaire, qui dégage rapide, on exhale à petits jappements, l'air de rien cette fois on est en haut, 5000 ou 5100, fichtre.
Et ce sommet qui n'en est pas un (C'est une crête de sommets,l'Iztaccihuatl, vu que ce cochon de volcan doit faire partie dela famille de "ceux-qui-s'écroulent-comme-des-camemberts-trop-faits", au contraire des "bouchons de champagne", type Popocatepetl), il a ses surprises. Là-bas, un glacier, une énorme bête digne des dinosaures alpins. Plus près, des sommets,encore des sommets,bouffés par la nuée, gris, jaunes, rouges, poussiéreux, froids. Et juste en-dessous de nous, un cratère. Enfin un cône. Ah écoutez, si c'est pas un cratère,c'est drôlement bien imité. Il y a donc un cratère sur le volcan. Original, non?

Le frangin et moi, on regarde l'heure entre deux embrassades et trois glapissements de victoire. 13h10. On s'est offert dix minutes de sommet. Temps de
redescendre, rapidement, en croquant de l'aspirine pour compenser la tête qui commence à battre, mais altitude ou soulagement, allez donc savoir. Et de reprendre la Fred au passage, étrangement emmitoufflée dans une des couvertures douteuses du refuge, y a que le nez qui dépasse.

Et vous me dites, ça change quelque chose, 5000m?
Aucune idée... Tout et rien...

PS: Désolé pour les perdants, mais le jeu-concours "une bouteille de tequila pour le vainqueur" n'est autre que l'amie Soizick, toujours prompte à dégainer... Elle prétend avoir répondu avant même de teminer le mail. Et je la soupçonne de ne même pas avoir eu besoin de vérifier la réponse... Forte,la fille!

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24 mai 2005 2 24 /05 /mai /2005 13:42

Nom de Dieu les gars, bientôt un an!

L'heure du bilan? Peut-être même pas. Bon, d'abord, ça fait pas un an, ça fera dix mois en juin, et encore, fin juin, quand je serai déja sous mes latitudes originelles, à sabrer le Tequila, ou plutôt tout type d'ennivrant ben de chez nous. Le temps de gestation de l'humain, avec le rabiot des premières tétées! En suis-je revenu donc à la bave et aux couches-culottes?
Pas pour autant.

Résumons. Le bilan, ce serait dire, voilà ce qui s'est passé, ce qui a marché, et ce qui a trébuché, ce qui s'est ramassé. Ça aurait des airs de conclusion, pour finir le pléonasme. Et conclure, ça aurait déja des airs de retour, un brin mortifère, une odeur de photo jaunie au mur et de charentaise trouée. Pour la barbe blanche, je l'ai déja, et les petits saligauds d'élèves qui m'estiment à 48 ans bien frappés voient peut-être au-delà dela réalité de mon enveloppe charnelle décharnée. (Ah, sur ce point, je rassure au passage: les kilos laissés en Bolivie ont été récupérés au Mexique, Manman, tu devrais me reconnaître à l'aéroport.)
Non, je ne ferai pas le bilan. Le bilan, c'est le passé, et la fin d'un cycle. D'ailleurs, à quoi foutre bon? Vous avez suivi mes pérégrinations, mes rages et mes délires sans (trop de) censure de ma part. Je vous ai économisé quelques bitures, les mesquineries d'un ou deux collègues, et les délires racistes qu'on peut parfois entendre de bouches surprenantes. Mais j'y reviendrai, j'ai de la matière.
Pas de bilan, donc.
Pourquoi? Parce que ce n'est pas la fin.
Je reste. Pas tout à fait comme Gary Cooper dans Pour Qui sonne le Glas, avec sa mitrailleuse et ses copains qui se tirent et lui pour les retenir, les salauds de fascistes. Pas non plus comme un naufragé volontaire, Bombard testant les limites de l'exil -doré, je l'ai toujours dit et certains sont venus le vérifier sur place- jusqu'à en revenir maboul.

Quoique...

On peut séparer les partants, les fuyants, les fuyards, les exilés en deux catégories. Je parle bien de cette catégorie de semelle de sandale venteuse, les volontaires pour la durée indéterminée, et pas des p'tits jeunes qui s'font un an à l'étranger avec le billet de retour déja acheté. (tiens, vous vous souvenez? J'avais acheté qu'un billet aller. Con économiquement mais nettement plus romantique, ¡carajo!).
Deux catégories, disais-je avant de digresser.  Les rentrants et les partis. Les premiers, ils n'en peuvent plus. La troisième gastro a raison de leur volonté, ou ils rêvent de blanquette de veau toutes les nuits (je critique, mais bon, je m'en taperais
bien une petite...), ou ils ont laissé un(e) fiancé(e) là-bas (les sots!), ou ils ont toujours su qu'ils reviendraient, ou ils n'aiment finalement pas le pays, ou ils préfèrent décidément la France-où-on-est-mieux-ici-qu'ailleurs, bref, ils repartent. D'aucuns se promettent de repartir (je ris!), les autres se promettent un CAPES (je ne ris pas! Encore que... si, je ris!). Mais ils repartent. Même pas un an! Foies de chacal! La tétée maternelle vous manque donc tant! Fuyez donc, clampins et banturles! Faut de l'estomac pour un coup pareil!

Ah merde, ça m'a échappé. Je m'étais promis la distance philosophe, le néo-montaignisme tolérant et bienveillant, venez à moi les petites maîtrises FLE, vous qui restez plus près des 20 que des 30 ans... Encore raté!

Je suis donc dans l'autre camp. Ah je ne dis pas, je me suis dit parfois, au début, allez, un an ce sera pas mal, on rentrera se reposer après, on repartira, ou on ira ailleurs, moins loin... 
Et puis non, non et non. Je reste. Je repartirai, peut-être, mais pas encore pour la France. C'est une autre histoire, ça, j'y reviendrai.
Bon, pourquoi, alors? Qu'est-ce que je cherche que je n'aie pas encore trouvé? La réponse est dans la question, comme je dis toujours. Le Mexique, d'abord.
Soyons francs: je ne connais rien au Mexique. Je connais des aperçus, des entrevus, des bribes et des éclairs. Des odeurs et des goûts, et pas mal de rêves.
Pas eu le temps, mais on ne l'a jamais, le temps, alors autant le prendre là où il est, c'est à dire ici. Si je rentre, adios Mexico.

La France. Me manque-t-elle? Oui et non. La vieille Maman-patrie, je ne l'ai jamais assez vénérée pour lui faire le sacrifice de mes impatiences. J'ai traîné mes sandales dans les couloirs de quelques facs, graffité quelques tables de lycée et de collège, arpenté quelques sentes, admiré des filles et des montagnes (dans le désordre), noué des amitiés comme des cordes d'amarrage. Les racines, soit. Mais que voulez-vous, depuis qu'on a vendu le château, les dépendances et les chasses, et affranchi les serfs, le coeur n'y est plus...
Allez, la France, c'est mon business, maintenant. Je ne m'en éloigne pas, et je prie chacun d'entre vous de me corriger sans pitié si vous détectez quelque bizarrerie dans mon langage, je ne vais quand même pas parler comme un expatrié!
Je saurai en profiter, du vieux pays, va.
Drôle d'histoire que celle-là, quand même. Le plan B est juste devenu le Plan A, et je ne me souviens même plus de ce qu'était le plan A, à présent. Je m'amuse bien, c'est à peu près l'essentiel.
Et le mal du pays... Ça existe, ça? je ne sais pas.
Oui, vous me manquez tous, mes bons et valeureux compagnons, camarades d'aventure, que cette dernière se situe sur une cîme ou au fond d'un estaminet. Mais le pays, il a déja changé, je le sais. Vous avez tous bien changé, et mon seul privilège, miroir pas déformant, est de pouvoir le constater mieux que vous sur vous-mêmes. Comprenons-nous bien. Moi, c'est normal. On ne vit pas ma vie (actuelle, en tous cas), sans revenir franchement différent. Pour certains, ça ressemble à un stress post-traumatique, et pour d'autres, c'est juste qu'ils parlent bizarrement (je répète, corrigez-moi si je fais ça, ce genre de choses me sort par les yeux). Certains ne reviennent jamais vraiment, alors qu'ils sont pourtant là, physiquement, bien reinsérés, bien réintégrés, réhabilités, même...
Mais non, c'est trop tard, nous le savons tous. Je ne suis plus celui que j'étais en partant, et même si je revenais, je ne le redeviendrais plus (Tu m'étonnes, quelle créature affligeante, le Raph modèle 2004, un machin ringard, plus personne utilise une antiquité pareille, tiens, essaie le 2005, beaucoup mieux, y a du nerf et du muscle, c'est du nourri aux tacos, ça...).
Et puis pourquoi revenir? Je veux dire, revenir déja?
Un an, dix mois, c'est de la blague. Un weekend. Le temps de fermer les yeux pour vérifier que le monde continue de toruner pendant ce temps. Je ne peux donc pas redevenir français, pas comme je l'étais. Pas citoyen du monde non plus, je n'ai pas encore toutes les caractéristiques requises, mais disons que j'ai fait abandon volontaire d'une partie des valises, elles sont sagement dans le garde-meuble, et y aura qu'à souffler sur la poussière pour reprendre certaines choses là où elles en étaient. Y en a d'autres, non, pas possible.
Mais ça vaut le coup, allez. Vous le savez aussi bien que moi. Depuis que j'ai bien compris que les valises pleines de dollars ne poussaient pas dans les arbres, je me contente d'une poignée de pesos pour nourrir la bête, autant en boustifaille qu'en lectures. Et en rencontres aussi, d'ailleurs. Déjà, avec un peu de chances, je ne me dirai jamais que dix ans auparavant, je faisais la même chose. Pas que ce soit condamnable, ça, mais maintenant, je l'imagine mal. Et comme je ne rajeunis pas, je commence à penser que ça va faire partie du mode de vie pour un moment. De toutes façons, y a autre chose à faire?

Revenons de mon côté de l'Atlantique.
Qu'y a-t-il à trouver en Amérique Latine? Vaste question. Pour le coup, ce continent qui me flanquait une frousse diarrhéique dans mon enfance (souvenez-vous, j'ai grandi au temps béni du Sentier Lumineux et de ses otages exécutés, du tremblement de terre de Mexico et de la petite Omayra qui a mis 8 jours a mourir sous le regard con des caméras après l'éruption du volcan je ne sais plus quoi (une
bouteille de tequila pour le premier à me  donner le nom du volcan, cachet de la poste faisant foi! Si c'est un Mexicain qui trouve, une bouteille de vin ou autre, provenance française et contrebandière garantie). L'Amérique Latine me terrifiait il y a encore peu. Une criminalité véritable, authentique, des brigands de grand chemin (comme les salopards vénézuéliens qui ont détroussé mon ami Daniel, globe-trotter allemand, flingue sur la tempe et tout et tout), des coupe-jarrets comme on n'en trouve plus chez nous.
Voilà déja une bonne raison pour y vivre. HEIN? QUOI?
Mais oui! Suivez-moi un peu: je n'aurais jamais imaginé que cela existait, je veux dire ENCORE... Et là, je le vois et le vis. Quel intérêt? Y a bien la télé pour ça! Mais non, c'est autre chose. Grâce aux brigands, à toutes ces tuiles qui menacent
de vous tomber du toit sur la figure, à cette maladie qu'on croit voir rôder (pas trop chez moi, mais les nouvelles que j'entends venir de certains arpenteurs de terrain m'y font penser) toute vive, avec des pattes et des yeux rouges, à cette misère absolue, si féroce qu'on croit toujours avoir découvert le fond, et en fait non, bref, grâce à tout cela, on replace le planisphère à sa juste perspective.
Pas que j'aie atteint la sagesse, ni la profondeur de réfléxion ultime. Y à qu'à voir les âneries que je déverse dans mes mails, et dans celui-ci en premier lieu, pour s'en rendre compte. Atteindrai-je un jour une pensée un peu riche sur tout ça? Même pas sûr, et pour tout dire, je ne le cherche pas vraiment, Feignasse céleste que je suis. On verra bien, en faisant le tri du fleuve de sottises que je laisse sur mon passage, on trouvera peut-être une anecdote ou deux à conserver.
Mais cette Amérique Latine a encore pas mal à m'apprendre. Je l'ai entrevue, je commence à la lire. Pour de vrai, dans le texte, avec tous ses mots et tournures incompréhensibles pour qui n'est pas du coin, tant pis, je continue, doit bien y avoir un chemin qui mène à une clairière, et de là, on aura un point de vue, et on s'y retrouvera...
Je commence à la voir. A présent que la plus grande ville du monde ne me donne plus de vertiges, je vois.
Les gens, les choses. J'écoute le doux babil de la marchande de quesadillas qui tapote sa pâte en la balançant d'une main à l'autre, je peste contre le frein moteur du camion hors d'âge qui déboule la rue, je hais férocement le cinglé qui vend du GAAAAAAAAAAZ, mais je slalome aussi entre les mendiants aveugles ou culs-de-jatte et les hommes d'affaires pommadés et luisants, je vois les dernières modes technologiques prendre une importance vitale pour les "fresas" (snobs), et j'entends les pires rengaines roucoulantes rester sur les ondes des mois durant.

On me demande, on demande et parfois on se demande certaines choses. Sont-elles vraies, sont-elles fausses, ont-elles un fond de vérité? Est-il vrai que je gagne des millions de pesos? Est-il vrai que j'envoie chaque semaine un rapport secret au Quai d'Orsay sur les activités de l'Alliance Française?
Est-il vrai que j'arrondis mes fins de mois avec un juteux trafic de drogue, d'armes ou d'enfants? Est-il vrai que je porte une cicatrice au bas du dos, souvenir d'un rein qu'on m'aurait subtilisé après une soirée trop arrosée? Est-il vrai que je ne suis plus
au Mexique, mais dans une clinique de désintoxication discrète, dont l'emlacement est secret, mais pas sur ce continent ni le vôtre? Est-il vrai que je coule des jours heureux, aux côtés d'une jolie Mexicaine? Est-il vrai que j'ai pour projet d'aller passer des vacances en Iran? Est-il vrai que je vis dans une hacienda luxueuse, où l'on m'appelle Don Rafael? Est-il vrai que j'ai perdu un bras dans la contre-insurrection d'une obscure cité guatémaltèque, et que je n'ai dû mon salut qu'à la bonté dont j'ai fait preuve, en n'achevant pas un conseiller de la CIA que j'ai reconnu comme un membre de ma famille?

La seule chose que vous pourrez difficilement me demander, c'est où tout cela me mènera. Parce que je n'en sais foutre rien. Et que je m'en moque bien. Vous connaissez cette formidable tarte à la crème rance, figée comme un vieux reste de sauce buitoni sur une assiette de la veille: "On n'a qu'une vie"? Eh bien, c'est faux. Totalement faux. Bidon. Pipeau.

On en a des tas. Des dizaines, si ça se trouve. En v'là une. Pas mal. Suivante?

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16 avril 2005 6 16 /04 /avril /2005 17:24

Bonjour à tous, voici l'adresse où voir une exposition virtuelle de mes photos de Bolivie :

http://albums.koffeephoto.com/album/24FEMzUs1z56TNiyYRugjOBh

 A bientôt!

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4 avril 2005 1 04 /04 /avril /2005 20:11

 

Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.

 

Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.

 

Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.

 

 

L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.

 

De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.

 

ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.

 

A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.

 

Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.

 

L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.

 

 

Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.

 

Pourquoi? Comment plutôt.

 

Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos  trouvée dans un caniveau.

 

A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.

 

L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.

 

On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.

 

Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.

 

Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.

 

Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.

 

Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.

 

L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.

 

L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garçons font rouler des montagnes de muscles.

 

L’Amérique est une télévision échappée de l’écran protecteur où tout semble  et rien n’est.

 

Ce n’est pas isolé. La série Friends a littéralement inventé le Bo-Bo jusqu’en .

 

que haïr ici? La jeune fille qui se prend pour sa starlette préférée? Mais d’entre nous, qui ne vit dans son film de chevet?

 

Le véritable objet de haine n’est pas le peuple, à l’évidence victime. L’objet de haine est le rêve, ce rêve américain d’autant plus chimérique qu’il accepte et assume toutes les acceptions du terme selon les contextes.

 

Le rêve américain n’est pas, n’est plus, celui qui fait d’un loqueteux un milliardaire. Le rêve américain fait d’un loqueteux un loqueteux fier de l’être. Il est pauvre, mais du bon côté de la barrière, ou de la frontière. Il fait partie de l’Empire, il a droit de Cité. Tous les barmen, les serveurs, les bagagistes, les balayeurs, ici, sont noirs. Mais ils ont le droit d’imiter, eux aussi, de sembler, c’est imprescriptible. Le libéralisme le plus féroce se cache derrière ces caches-misères.

 

Entre les apparences piétinées de La Paz et les illusions surjouées de Miami , une mince ligne. Le rêve. Le rêve des uns, c’est de rêver comme les autres.

 

On m’a dit que la bière qui arrosait les villages pouilleux de l’arrière-Bolivie maintenait les populations abasourdies.

 

Autre peuple, autre opium. Ces publicités, qui ne vantent que les accessoires idéaux d’un mode de vie toujours un pas trop loin, maintiennent ces jeunes Américains dans la non-existence, et font des premières générations les pires kapos, à l’instar de ces Chicanos à fort accent, mais jamais si violents qu’à l’égard de leurs anciens compatriotes, ces gens qui n’ont pas (encore?) le droit de rêver comme eux.

 

Haïr les Américains, c’est haïr les Lotophages, donc se haïr soi-même, ou ces mômes ivres qui tapaient dans la carosserie de la voiture de Danilo.

 

Le rêve, la cécité.

 

Des attitudes, des postures, des tournures. Des codes.

 

C’est ainsi seulement que l’Amérique existe, lorsqu’elle se reconnaît dans le miroir, nécessairement flatteur.

 

1-2-3, 1-2-3, 1-2-3...
15 Heures à Miami .

 

 

Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.

 

Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.

 

Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.

 

 

L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.

 

De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.

 

ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.

 

A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.

 

Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.

 

L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.

 

 

Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.

 

Pourquoi? Comment plutôt.

 

Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos  trouvée dans un caniveau.

 

A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.

 

L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.

 

On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.

 

Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.

 

Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.

 

Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.

 

Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.

 

L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.

 

L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garçons font rouler des montagnes de muscles.

 

L’Amérique est une télévision échappée de l’écran protecteur où tout semble  et rien n’est.

 

Ce n’est pas isolé. La série Friends a littéralement inventé le Bo-Bo jusqu’en .

 

que haïr ici? La jeune fille qui se prend pour sa starlette préférée? Mais d’entre nous, qui ne vit dans son film de chevet?

 

Le véritable objet de haine n’est pas le peuple, à l’évidence victime. L’objet de haine est le rêve, ce rêve américain d’autant plus chimérique qu’il accepte et assume toutes les acceptions du terme selon les contextes.

 

Le rêve américain n’est pas, n’est plus, celui qui fait d’un loqueteux un milliardaire. Le rêve américain fait d’un loqueteux un loqueteux fier de l’être. Il est pauvre, mais du bon côté de la barrière, ou de la frontière. Il fait partie de l’Empire, il a droit de Cité. Tous les barmen, les serveurs, les bagagistes, les balayeurs, ici, sont noirs. Mais ils ont le droit d’imiter, eux aussi, de sembler, c’est imprescriptible. Le libéralisme le plus féroce se cache derrière ces caches-misères.

 

Entre les apparences piétinées de La Paz et les illusions surjouées de Miami , une mince ligne. Le rêve. Le rêve des uns, c’est de rêver comme les autres.

 

On m’a dit que la bière qui arrosait les villages pouilleux de l’arrière-Bolivie maintenait les populations abasourdies.

 

Autre peuple, autre opium. Ces publicités, qui ne vantent que les accessoires idéaux d’un mode de vie toujours un pas trop loin, maintiennent ces jeunes Américains dans la non-existence, et font des premières générations les pires kapos, à l’instar de ces Chicanos à fort accent, mais jamais si violents qu’à l’égard de leurs anciens compatriotes, ces gens qui n’ont pas (encore?) le droit de rêver comme eux.

 

Haïr les Américains, c’est haïr les Lotophages, donc se haïr soi-même, ou ces mômes ivres qui tapaient dans la carosserie de la voiture de Danilo.

 

Le rêve, la cécité.

 

Des attitudes, des postures, des tournures. Des codes.

 

C’est ainsi seulement que l’Amérique existe, lorsqu’elle se reconnaît dans le miroir, nécessairement flatteur.

 

1-2-3, 1-2-3, 1-2-3...

 

 

15 Heures à Miami .

 

 

Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.

 

Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.

 

Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.

 

 

L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.

 

De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.

 

ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.

 

A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.

 

Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.

 

L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.

 

 

Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.

 

Pourquoi? Comment plutôt.

 

Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos  trouvée dans un caniveau.

 

A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.

 

L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.

 

On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.

 

Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.

 

Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.

 

Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.

 

Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.

 

L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.

 

L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garçons font rouler des montagnes de muscles.

 

L’Amérique est une télévision échappée de l’écran protecteur où tout semble  et rien n’est.

 

Ce n’est pas isolé. La série Friends a littéralement inventé le Bo-Bo jusqu’en .

 

que haïr ici? La jeune fille qui se prend pour sa starlette préférée? Mais d’entre nous, qui ne vit dans son film de chevet?

 

Le véritable objet de haine n’est pas le peuple, à l’évidence victime. L’objet de haine est le rêve, ce rêve américain d’autant plus chimérique qu’il accepte et assume toutes les acceptions du terme selon les contextes.

 

Le rêve américain n’est pas, n’est plus, celui qui fait d’un loqueteux un milliardaire. Le rêve américain fait d’un loqueteux un loqueteux fier de l’être. Il est pauvre, mais du bon côté de la barrière, ou de la frontière. Il fait partie de l’Empire, il a droit de Cité. Tous les barmen, les serveurs, les bagagistes, les balayeurs, ici, sont noirs. Mais ils ont le droit d’imiter, eux aussi, de sembler, c’est imprescriptible. Le libéralisme le plus féroce se cache derrière ces caches-misères.

 

Entre les apparences piétinées de La Paz et les illusions surjouées de Miami , une mince ligne. Le rêve. Le rêve des uns, c’est de rêver comme les autres.

 

On m’a dit que la bière qui arrosait les villages pouilleux de l’arrière-Bolivie maintenait les populations abasourdies.

 

Autre peuple, autre opium. Ces publicités, qui ne vantent que les accessoires idéaux d’un mode de vie toujours un pas trop loin, maintiennent ces jeunes Américains dans la non-existence, et font des premières générations les pires kapos, à l’instar de ces Chicanos à fort accent, mais jamais si violents qu’à l’égard de leurs anciens compatriotes, ces gens qui n’ont pas (encore?) le droit de rêver comme eux.

 

Haïr les Américains, c’est haïr les Lotophages, donc se haïr soi-même, ou ces mômes ivres qui tapaient dans la carosserie de la voiture de Danilo.

 

Le rêve, la cécité.

 

Des attitudes, des postures, des tournures. Des codes.

 

C’est ainsi seulement que l’Amérique existe, lorsqu’elle se reconnaît dans le miroir, nécessairement flatteur.

 

1-2-3, 1-2-3, 1-2-3...
15 Heures à Miami .

 

 

Il peut sembler illusoire, auto-aveuglant, de se refuser à profiter de l’occasion de poser le pied en terre américaine, fût-ce pour quelques heures. Mais je reviens de Bolivie, et finalement, d’aéroport en aéroport, il me semble que m’asseoir trois heures sur un banc m’apprendra plus qu’une flânerie au long des rues. La patience est un apprentissage, c’est connu.

 

Ma journée a commencé en pleine nuit, tiré des ténèbres glacées et brumeuses de La Paz par Danilo, sourd pas muet.

 

Un au revoir aux stagnations de poulet frit du hall du Morumbi, une sortie par la petite porte du rideau de fer avant la cavalcade dans la Walpurgis Nacht bolivienne. Dalo fonce, connaît la ville, force les passages. C’est une autre Paz que j’aperçois, celle des chiens qui jaillissent des amas d’ordures jonchées au milieu de la route pour se précipiter contre la voiture en aboyant. Danilo me le souligne, mais j’avais compris, lorsque nous traversons un quartier en pleine fête, étals à bouffe, indiennes à chapeau, petits durs au regard vide, qui cognent du poing la carosserie au passage, on est dans la vraie zone de La Paz. 1-2-3, 1-2-3, 1-2-3, le rythme qui fuyait déja goutte-à-goutte de l’autoradio souffreteux du car de Copacabana me paraît cette fois plus féroce, agressivement lancinant. C’est la pulsation de cette vie-là de La Paz. Ce pouls-là est celui de la jungle, urbaine pour le coup.

 

 

L’avion. L’avion. L’avion est l’une des plus dangereuses inventions, même quand on ne lui adjoint aucun accessoire guerrier. L’avion transforme le temps en claquement de doigts. L’aéroport, en revanche, est un non-lieu, un non-endroit où le temps se dilate, où la fatigue change de nature, où les sensations s’alanguissent.

 

De l’aéroport de La Paz à celui de Miami , toujours la même mise en scène d’un entre-deux-mondes où l’on fait semblant d’exister, d’acheter, de vendre, de s’intéresser. Les conversations de hasard ont la chaleur d’une cheminée de plastique.

 

ce n’est pas le monde, le sang épais des rues de La Paz avant la bénédiction finale et solennelle de Danilo. C’est un reflet, un miroir.

 

A Miami , j’hésite. Un taxi, une consigne, je pourrais connaître, m’imprégner. Et puis non, flamber en deux heures ce que j’ai consumé en deux semaines, pour humer l’air marin, merde.

 

Je reste, je m’assieds, je m’installe. Je m’immobilise, et le reflet continue de trembler autour de moi. Sûrement, quelque part dans les coulisses du théâtre, mon immobilité se remarque.

 

L’aéroport reflète l’endroit où il est implanté. Ses règles diffèrent sensiblement, on n’y attend pas de la même manière. Les bibelots s’entassent dans les sacs et les valises, les étiquettes se toisent, les tampons sur les passeports rivalisent, mais un aéroport a toujours une couleur dominante, malgré son illusion internationaliste: la couleur locale.

 

 

Les Américains. On devait les aimer, puis on doit les haïr.

 

Pourquoi? Comment plutôt.

 

Le peuple lui-même ne peut-être haï, ni plus ni moins qu’un autre. Ta langue est moins belle que la mienne, j’aimerais être un autre, autant de faces de la même pièce de 5 centavos  trouvée dans un caniveau.

 

A la haine des uns répond souvent l’amour inconsidéré pour d’autres, pas toujours les siens. Soigner, justifier son racisme par un snobisme.

 

L’anti-américanisme est une vieille lune. Les jeunes et moins jeunes qui le savourent aujourd’hui ne savent toujours pas pourquoi comment ni pourquoi. Ils finissent, au hasard des haines, par haïr le peuple, tout en condamnant universellement le racisme.

 

On peut haïr idéologiquement, politiquement. Salaud de peuple belliqueux. Mais ceux qui m’entourent aujourd’hui ne cadrent pas avec cette facilité.

 

Ce n’est pas encore le contraste qui choque, encore que ça viendra.

 

Les jeunes. Les jeunes sont la clé. L’Amérique est un pays jeune. L’Amérique est un pays de premières et de deuxièmes générations. Ces jeunes qui mélangent les langues quand leurs parents apprivoisent encore leur propre accent, qui ne semblent inquiets aue de l’autonomie de leur téléphone portable. Le costume du jeune Américain comporte une pièce incontournable: la Tong , cette langue de caoutchouc qui sépare un orteil de ses confrères.

 

Un jeune Américain semble donc toujours aller ou revenir de la plage. Les vacances permanentes.

 

Quand on n’est pas gros, on est très musclé. Ou très maquillée. Apprêté. Tous ces gens ne pensent pas à l’Irak. Ils ne pensent à aucun autre pays, pas même à celui des origines -et ce n’est aps forcément enc ela qu’ils ont forcément tort, restes lointains de tribus nomades que nous sommes tous, que nous importe ce tas de cailloux que nous clamons nôtre pour y crever-, ils s’en foutent, alors même au’ils sont ici, dans un aéroport qui les verra quitter les frontières.

 

L’Américain n’existe pas. L’erreur est de croire qu’il n’existe pas parce qu’il vient d’arriver, que la charogne de Custer n’est pas encore froide.

 

L’Américain n’existe pas parce qu’il s’invente en permanence. Parce que les jeunes filles glapissent et gloussent “Oh my God!” et que les garç
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2 avril 2005 6 02 /04 /avril /2005 13:08
Oui, c'est l'orthographe locale, qui de toutes façons varie énormément, langues diverses se côtoyant oblige.
 
Après une bonne nuit de sommeil d'au moins 5h30, je décidai d'aller voir la nº merveille de Bolivie, le plus haut lac d'altitude, 3800m, et probablement un des plus grands.
Faut savoir que les Boliviens n'ont pas encore digéré le coup tordu des Chiliens: Les bougres leur ont volé la mer! Eh oui, quant on perd une guerre (Ce que les Boliviens font souvent), on perd aussi des plumes.
Il y a pourtant une marine bolivienne, oui m'sieur dame, et des matelots avec leur drôle de chapeau (Il faudrait quand même tripler ma solde pour que j'accepte un costard aussi farfelu), et des militaires qui ne rigolent pas, bref, on ne plaisante pas avec l'armée bolivienne (J'ai dit on ne rit pas!).
 
Changement d'ambiance, après dix jours à ne parler qu'espagnol avec des Boliviens, me voici dans l'auberge espagnole roulante typique, un mélange d'américains (énormes appareils photos, ordinateur portable), de jeunes israéliennes (Mais elles font probablement une virée d'après-service militaire, donc même si elles ont l'air boulottes et niaiseuses, elle peuvent peut-être me plaquer au sol et m'annihiler comme un vulgaire dirigeant du Hamas, donc gaffe), de vieux anglais, d'un français qui veut pas parler (Moi) et d'un banquier allemand d'à peu près mon âge, avec qui finalement je sympathisai.
Mais bon, faut parler anglais maintenant, et vous savez ce que j'en pense. En plus, flash-back d'un an, hostal de la Catedral de Mexico, tous les anglo-saxons pas foutus d'articuler trois mots d'espàgnol me trouvent vachement sympa, d'un seul coup.
Mais là, je reste avec mon banquier, Heiko, grand gars sympa qui veut se baigner dans le lac. Il le fera une vingtaine d'heures plus tard, au milieu de la promenade autour de l'île du Soleil, sous la pression intense du sale Français (Moi) qui dit que non, 9h30, c'est la bonne heure pour se baigner.
Mais j'anticipe. Avant l'île du Soleil, où les Incas de nos grands-mères allaient faire des tas de processions religieuses fort intéressantes, construisaient des genres de maisons labyrinthiques et des chemins ressemblant fort à des autoroutes, il faut traverser une partie du Lac.
C'est long, c'est très long, il ne se passe pas grand-chose, on ne parle pas à ses voisins, même si plus tard ils vous demanderont l'adresse du bon restau que vous avez trouvé, sans faire les innocents, puisqu'ils vous ont repérés aussi, sur le bateau. À la proue, il y a deux jeunes sots vautrés, et au-dessus, sur l'espèce de toit occupé par tout le monde parce qu'il fait beau, mais au-delà des rambardes, un couple de jeunes gens dont le monsieur a l'air frimeur. Je le mentionne parce que Christian, c'est son nom, croisera ma route (inca) le lendemain.
Bref, on arrive, Heiko et moi, un débarquement franco-allemand c'est pas tous les jours, et on est assailli. On savait pas, salauds d'officiers, y a un comité d'accueil! Des hordes de mioches en hardes se précipitent pour nous suggérer fortement, au cas où on ne saurait pas où dormir (Ce qui est souvent le cas,je suppose, moi par exemple je n'ai pas encore mes habitudes sur cette île), d'aller dans l'hôtel de l'Inca, de la Route de l'Inca, du Mirador de l'Inca, Du Lama de l'Inca, du Bonnet Rigolo de l'Inca, bref, n'importe quoi de l'Inca, probablement tenu par leur père/oncle/frère/cousin...
On dédaigne, `parce qu'on n'aime pas les réseaux mafieux, c'est vrai, on passe une nuit et on finit avec un drôle de bonnet à guetter les bateaux qui arrivent.
On échoue finalement dans un hôtel à 2.50$ la nuit, ce qui n'est pas cher, surtout qu'on a une vue imprenable sur la baie, mais c'est normal, c'est une île, il y a des baies partout, celui qui ouvre son hôtel en plein centre-village est bien malheureux.
Heiko ne veut pas me croire, mais je lui dit: pas besoin de réveil demain matin, l'incroyable colonie d'ânes qui peuple l'île ne manquera pas de nous faire lever bruyamment.
J'ai raison.
Du coup, le pauvre vieux m'accompagnepour faire le tour complet de l'île, une balade de 5-7heures, pour moi c'est parfait, j'ai des courbatures à évacuer. Lui, il veut partir le soir pour retrouver un Autrichien et faire la tournée des bars topless de La Paz. On n'a finalement pas échangé les adresses.
Je largue donc mon compagnon germain dans un bateau qui fait le trajet de retour en seulement 3 fois plus de temps que l'aller, bons copains qu'on se quitte, on aura bien rigolé, et en plus pour un banquier, il est quand même un peu poète, ça fait deux fois qu'il vient dans le coin, il aime vraiment, je critique pas.
Là, je suis à la pointe Nord de l'île, il me reste quelques ruines à visiter. Une fois finie ma troisième truite (Du lac, un régal), je décolle. Rien dans les mains, rien dans les poches, enfin plus obligé de parler anglais, ni de parler du tout, je prends un bon pas et commence à fouler la route fabriquée par les Incas. Il fait beau, il fait chaud, et un groupe de touristes américains ne va pas tarder à succomber s'ils essaient de marcher à mon rythme. Mais ils ont un guide, je suppose que le gaillard sait ce qu'il fait.
Premier arrêt, pour eux, un énorme caillou. Moi je passe, je vais direct sur les ruines dites du Labyrinthe. C'est vrai, c'est labyrinthique. C'est des murs, qui se croisent, avec des portes, des genres de fenêtrs, on devine qu'avant il y avait un toit, ma formation archéologique limitée me fait penser que c'est un genre de cité miniature, c'est bien sympathique, je prends des photos et je me tire, parce que finalement, une fois que c'est vu, c'est vu, il y a plein de baies et de montagnes fabriquées par Mère Nature, je sens bien que ça me plaira plus.
En repassant, les américains s'extasient sur le gros caillou, deux mètres de haut sur 6 ou 7 de large. Et le guide leur explique, que là c'est un condor, là c'est un serpent, là c'est un puma, là ça doit être le dieu de la fertilité, et si on regarde bien en tournant le dos au soleil et en regardant la lune entre ses jambes, on aperçoit le nombril de George W. Bush, signe de virilité chez les Incas.
Bon, j'exagère à peine, mais là, je vous avoue que je suis reparti en levant les yeux au ciel, sais pas, je devais pas être d'humeur à interpréter les cailloux, pour moi ce machin c'était une grosse pierre, peut-être qu'en assistant à la cérémonie religieuse qui allait avec ça aurait été plus rigolo, mais là boarf.
Je décarre donc en écoutant les clics d'appareils photos et les ho ha oh my god can you believe it, et j'entame la crête de l'île, une petite épine dorsale à 4000m d'altitude. Et là, je vous l'avoue, c'est beau. Vachement beau. La route inca, on la voit courir vers le Sud, de creux en bosse, jusqu'à la mer, qu'on voit pas danser, vu que c'est pas la mer mais un lac, mais je vous assure, l'illusion est parfaite, y a même des vaguelettes pour faire comme si. Et je marche, je marche, je marche, assez vite mais pas trop, juste pour retrouver de l'élasticité dans les muscles, rien entendre que mes pensées, qui sont d'ailleurs peu nombreuses, puisqu'il n'y a qu'à regarder et marcher sur les pavés parfaitement égaux.
Aaaaaaah.....
Après une heure ou deux, je vois un gars un peu en contrebas du chemin, juste quand j'avais enfin dépassé ces deux Anglaises qui essayaient de me ratrapper, les dindes. LE gars est accroupi, il gratte le sol. Je dis "Allons bon,v'là aut'chose!". Sûrement un gars qui a trouvé un truc, qui va se le déterrer, se l'embarquer et le revendre ou le poser sur sa cheminée, le saligaud.
JE passe sans trop rien dire, tenté quand même de lui demander s'il a le droit, juste comme ça, pour voir. Mais il lève les yeux, me voit, me sourit et me dit qu'il a fait une découverte formidable, et que si je veux voir je peux venir. Je me dis "Allez donc, c'est pas le premier maboul que je croise, celui-là a un couteau, mais bon, il a l'air sur une autre planète.
C'est Christian. Si je résume, Christian est Chilien, il a une jolie copine qui n'a pas voulu venir aujourd'hui (comme je la comprends, mais vous pas encore, chers lecteurs), et il vit "tout le long de la route inca, du Chili à l'Équateur". JE lève les yeux au ciel intérieurement, mais j'écoute et je regarde poliment. Il a trouvé une grande roche sculptée (encore....), et dont les figures sont passionantes à interpréter. Bon, je ne dis pas, c'est vrai, y a des triangles partour, sur son bout de caillou. Là, le Christian, il a trouvé un visage gravé, mais en fait ça pourrait être deux visages, là tu vois, y a les yeux, là une oreille (c'est suffisant pour entendre ça, à mon avis), la une bouche, et juste en dessous le pénis, et le vagin encore en dessous (J'ai dû sécher trop de cours d'anatomie), et le tout ça fait l'homme-femme, symbole de la fertilité (tiens tiens...), c'est comme le triangle, qui représente le condor, le puma et le serpent (bien sûr, j'allais le dire), qui symbolisent la force, le courage et la sagesse (ben oui, naturellement), et mis ensemble en triangle c'est l'harmonie, donc la fertilité (logique). Histoire de rire, je lui demande pourquoi certains triangles sont à l'envers. Il réfléchit, et me dit que, Rafa, c'est l'harmonie, parce que ça se complète, c'est le ciel et la terre (donc, puma, condor et serpent la tête en bas, ça doit être le ciel, bien que le condor doive pas être trop mal à l'aise dans le ciel, mais là je chipote), c'est comme l'étoile de David, les deux triangles, là, c'est le ciel et la terre (Eh ben oui, bien sûr, la terre sainte est en plein Lac Titikaka). Ou alors... Ou alors tu as aussi l'interprétation qui dit que c'est le père, le fils et le saint-esprit (Déja entendu ça quelque part, mais où...? Ça me reviendra...).
Mais tout ça, c'est bien gentil, mais il faut l'orienter. Le père Christian sort sa boussole, à peu près la même que la mienne, mais les graduations doivent pas être les mêmes, parce qu'il pose sa boussole sur les triangles, et puis il murmure des trucs genre "Solstice....Équinoxe...Solstice...". LE prochain bulletin météo nous annoncera peut-être une tempête arrivant d'un vent de Soltice-Solstice-Équinoxe, moi pour l'instant je commence surtout à me dire qu'il fait frais et qu'il y a une belle route qui m'attend, mais Christian doit le sentir, parce qu'à chaque fois il reprend. Par exemple, il a trouvé un caillou sur l'île (Mais on en est tous là, mon vieux) qui a indubitablement une forme de dragon. Il me montre sur l'écran de son appareil photo, et oui, ça pourrait ressembler à un dragon, mais peut-être aussi à une de mes profs de maths, ou à la symbolisation sacrée de mon code de carte bleue (quatre chiffres qui, si on les prend à l'envers, donnent la date de naissance de mon découvert), ou encore une représentation miniature des Noces de Cana. Le truc est pas sculpté, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise?C'est un caillou. Mais pour Christian, c'est autre chose, vue que, qu'est-ce qui a la forme d'un dragon, ici? Hein? Hein? Que c'est lui qui l'a remarqué en premier? Mais l'île elle-même, voyons! Rien que ça!
Bon, là, j'avoue ma lassitude... Oui, d'accord, t'as trouvé d'autres triangles, plein de triangles, au Chili, au Macchu Picchu, et même sur un certain nombre de panneaux de signalisation, mais bon,va falloir que j'y aille. Il ajoute quand même qu'il n'a pas de chance, que les habitants de l'île ne se rendent pas compte, par exemple (bon, mais alors le dernier exemple, hein) le caillou en forme de condor (ah ben oui, tiens, qu'en est-il?), celui qui était à l'entrée de l'île (Ouais...), personne l'avait remarqué jusqu'à lui, il y a quatre ans (Ben oui mais tu sais, l'hôtellerie, ça prend du temps, et y a les ânes à sortir et le film à la télé alors  tu sais, les condors, hein). Ouais ouais ouais, un condor! Les ailes déployées, et sur sa poitrine (un soutien-gorge?) d'un côté (Attends, je devine) un puma et de l'autre un serpent (Ah t'es con Christian, j'allais trouver! Et ça veut pas dire fertilité, égalité, fraternité, par hasard?). Mais ces salauds ont tout détruit (triste époque pour les triangles, les condors, les pumas, les serpents et les Chiliens qui font des fouilles avec une brosse à chien et un canif).
Parce que tout ça, Rafa, figure-toi, c'est probablement la maquette de l'Atlantide! Le tableau d'un Continent perdu! D'ailleurs, le gros triangle, là, c'est le templo mayor (Celui de Mexico? Nan, je crois pas). J'avoue que c'était beau.
Je ne résiste quand même pas à la tentation de lui demander s'il travaille avec une université, ses découvertes ne peuvent quand même pas rester secrètes!
Et il soupire que non, non (Attends, je devine: elles te prennent pour un zozo?), mais qu'il va prendre des contacts avec le Discovery Channel et National Geographic. Je  ne lève pas les yeux au ciel, et je lui demande si le documentaire portera sur ce caillou, là, seulement (Ce serait dommage, le monde doit savoir, l'Atlantide, Christian, l'Atlantide!)? Il me dit que non, sur l'ensemble de ses découvertes (pendant ce temps, il prend des notes, fait des dessins (des triangles) sur un agenda 2004), et qu'il veut qu'on l'interviewe sur tout ça.
Sur ce, je me dis que ça commence à faire, que j'ai ma dose pour la journée. Je dis queje m'arrache, il m'invite cordialement à le retrouver avec sa copine (J'avoue, j'ai hésité) le soir même, qu'il me montrera ses autres découvertes.  Je lui dis que je vais y penser, et je reprends ma marche d'un bon pas tandis qu'il me souhaite bonne chance (t'inquiète Christian, apparemment t'as déja repéré tous les serpents de l'île).
 
Ah ben mes amis, La Paz semble vraiment rationnelle aujourd'hui. C'est vrai, des foetus de lamas, c'est plutôt normal, non?
 
Raph
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31 mars 2005 4 31 /03 /mars /2005 20:09

Isla del Sol, 22h06.
Tout ça, c’est déja loin. J’ai parcouru aujourd’hui à peu près toute la fameuse île du Soleil, modérément sensible aux ruines Incas. Bien sûr, c’est fort impressionnant de voir le labyrinthe encore à peu près debout après des siècles, mais je suis plus intéressé par leurs connaissances techniques aue par leur mysticisme.


Respectons, respectons, mais le paysage vaut mille cailloux gravés. Le Chilien, Christian, qui grattait la roche m’a notoirement amusé. Armé d’un bel attirail (brosse à vêtements, couteau et agenda 2004 en guise de carnet), il interprétait à peu près tout et faisait remonter l’ensemble à l’Atlantide. Mais bien sûr...
J’ai nettement préféré terminer la journée avec Grégoire et Fabienne, Suisses très sympas, dont les idées sur le voyage en Amérique Latine ne sont pas bien loin des miennes.
Passé du très bon temps avec Heiko Glaser, le banquier allemand, mais lorsqu’il est parti, je n’étais pas mécontent de me retrouver seul, surtout pour cette dernière partie de chemin Inca. Magnifiques panoramas, j’ai vraiment épongé les fatigues de la semaine dernière, je me sens en forme et serein. La jungle est loin, Mexico me manque, je suis prêt à me remettre au travail.

 

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29 mars 2005 2 29 /03 /mars /2005 13:05
Moi j'ai dit, j'avance plus, oui, il fait froid, mouillé, humide, mais là pour moi c'est bon. Continuez donc si vous voulez, les copains, on se reverra à Chulumani. Tiens, si vous voulez de la bouffe, j'ai du riz, des pâtes, des saucisses, du fromage, je vous donne tout ça, ça fera toujours ça de moins à porter demain pour la grande descente. Ah ben merde, les voila tout confondus! Vladimir, une grande gueule bien sympa qui chante de l'opéra en Italien, ou sa plus ou moins copine, une Québécoise qui me prenait pour un Québécois (N'importe quoi! Pourquoi pas pour un Français? Ou un Mexicain? Ou un MiIitaire?), ils commencent à me regarder différemment. Je ne suis plus seulement ce mec bizarre avec tous ses gadgets, qui a la drôle d'idée de se balader seul, et qu'on ne saurait dire son âge, parce que pour faire ça, il faut être vieux, ou fou, et avec tous ces cheveux blancs, qui d'ailleurs foutent le camp sur l'arrière, et la barbe aussi, la barbe, bref, ils se disent, il est peut-être complètement taré, mais il est drôlement sympa, parce que nous autres, ben on mangerait bien un peu plus, enfin c'est ce que j'ai compris de leur enthousiasme. Je ne dis rien, mais je n'en pense pas moins. Ah, l'Islande, ses chevaux, ses prairies, ses volcans, ses geysers, ses rations calculées au milligramme, mais pas pour la casserole, trop petite, qui nous voit perdre des kilos.... Je n'ajoute rien, certains de mes lecteurs savent très bien à quoi je fais allusion, et les autres devinent que la terre des trolls, des fées et de Björk a failli être le théâtre d'une mutinerie culinaire...
Et puis je reste, donc. Seul. Il y a bien ce jeune Paraguayen, qui me demande si, puisque j'habite Mexico, je peux faire passer un cadeau d'anniversair à son frère, étudiant à l'UNAM toute proche. Et moi j'y dis que oui, bien sûr, en plus le pauvre bougre n'a pas vu son frangin depuis un an, tiens, j'en ai la fibre fraternelle qui vibre, allez, c'est dit, je l'emmènerai ton cadeau, l'ami.
Un petit échange. Tu as de la coca, qu'on me demande? Moi je dis, du maté de coca (un genre d'infusion à base de coca, pas bien péchant mais qui fait du bien contre l'altitude)? Y me disent, non, la feuille. Je dis que non, ils me demandent si j'en veux, je dis que oui, bien sûr, faut y aller, si ça marche sur les vieux bergers, ça marchera peut-être sur un jeune gringo. Y m'expliquent le fonctionnement, on mâche pas vraiment, on sort le jus, et on a une forme d'enfer. Et je gagne mon petit sac.
Et on me remercie, on me fait des grands signes, et on disparaît tandis que j'installe ma tente pour commencer à me sécher un peu les pieds. La nuit tombe vite, je suis crevé. Demain l'assaut final, le ressaut Hillary, le coup de collier à donner pour s'en sortir. Le topo dit: "Gaffe aux serpents!". Je dis, De toutes façons, cette forêt, c'est de la jungle. J'aime pas la jungle. Déja, la forêt, c'est pas très rassurant, en comparaison d'un bon bivouac dans la neige, bien sain, sans la moindre bestiole pour venir fouiner dans votre sac de couchage. Mais là, la jungle...
 
Ce matin, je range mes affaires, entre l'inquiétude de cette putain de jungle, et les maigres tentatives de prévision de ce qui m'attend. Encore de ces branches basses, le chemin détrempé, les roches moussues, glissantes, le ruisseau au milieu de la route. Et puis merde, on y va.
Départ à huit heures, brume, humidité, fraîcheur. 3300m, à peu près. Je dois descendre 1500m. Je suis la piste, j'alterne les bonbons et les feuilles de coca. Pas repris d'eau, un litre et demi pour ce que j'estime à 5 heures de marche maximum, ça devrait aller.
Et la piste commence fort, en forêt sinistre. Tout comme j'avais prévu. Je glisse, je dérape, je me ramasse. Je m'accroche aux branches, je les écarte, je me déhanche en un hoola-hoop pénible (N'oublions pas mes 25 kilos supplémentaires...). Je me reproche de ne pas avoir acheté cette machette, finalement ce n'était pas une idée si folklorique. Et puis je me reprends: de toutes façons, ça m'aurait surtout épuisé les bras autant que les jambes, alors tant pis.
Quatre heures plus tard, j'ai les cuisses en feu, je suis accroupi pour passer sous les branches, je me redresse brutalement pour contrer le poids de mon sac qui me traîne en arrière. Je m'essouffle. Sur le côté du chemin, ça descend à pic, brutal sur des centaines de mètres. Je passe le bâton de main en main, toujours du côté amont, bien équilibrer, garder le poids du côté sain. 
Je n'ai descendu que 300 ou 400 mètres. MEs prévisions sont chamboulées. Il fait plus chaud, des insectes commencent à sortir le bout de leurs ailes. On alterne, jungle et clairières herbeuses, boueuses, chemins invisibles, herbes jusqu'à la taille, allez savoir sur quoi je marche.
Une clairière, un genou. Je m'approche, et sous l'écrasant soleil de midi, alors qu je cherche ma respiration, je retrouve Leo et Mariana.Affalés, en chemin vers la déshydratation, elle a le genou en très mauvais état, s'aide d'un bout de bois. Ils n'ont pas pu rejoindre leurs amis hier soir. Ont campé où ils pouvaient, et mangé ce qu'ils pouvaient, puisque leurs provisions, d'après ce qu'ils m'en disent, sont loin des miennes, même après que je me suis débarassé d'une partie.
Tonton Raph a du paracétamol, de l'eau, des bonbons, bref, vu que j'en ai moi-même ras-le-bol de cette foutue jungle, et que vu leur état, on n'est pas bien loin de la non-assistance à personne en danger, je dis, allez les gars, on reste ensemble, suivez le petit blanc (Leo est immense, rien à voir avec ce pourri de Ramiro), foutons le camp.
MEs calculs donnaient une poignée d'heures. Disons qu'entre 15 et 16 heures, on y serait, au village, à boire de la bière, à raconter des conneries, et le genou serait oublié, bien vrai.
On marche, on marche, on marche. Alternance de jungle et de prairie surchauffée. Mariana est loin derrière, une demi-heure derrière moi. Leo, qui a pris trop de poids ces dernières années, souffre aussi. On partage l'eau, les bonbons. J'ai oublié de manger. On cuit. Je continue l'alternance coca-bonbons. Je vais vous avouer, l'effet de la coca, je ne suis pas sûr de l'avoir senti. Ou alors je pensais à autre chose. La coca, c'est dans la tête! De toutes manières, à ce moment là, c'est plutôt d'un coca-cola que j'avais envie.
Dernière goutte d'eau. On descend vers la route, 500m plus bas, ou on continue à longer la crête de la montagne, alors qu'on devrait être sur un autre chemin? Leo dit, la dernière fois, on est arrivés à Chirca, y a une chute d'eau bien avant, ça peut pas être loin.
Au bout d'un moment, Leo dit, allez, il est 17h15, tu files en avant, normalement  tu trouveras de l'eau. Si tu en trouves, tu peux nous en rapporter? JE dis oui, et je file, j'attends même pas que Mariana soit arrivée, la pauvre,elle commence à  montrer des signes de déshydratation pas rassurant, et Leo, il commence à avoir envie dormir...
JE fonce, et je pile net. La branche verte, là, par terre, qui bouge alors que je ne bouge plus, c'est pas une branche, c'est un putain de serpent. Me demandez pas comment il s'appelle, il est vert, des taches noires, je ne vois pas sa sale gueule, je n'y connais rien, moi quand ça n'a pas de pattes, que ça dépasse les 2-3 centimètres et que ça fait "SSSS", je dégage. Bon, finalement, l'ignoble s'en va. Et je redémarre, je me dis, on pense pas, on pense à rien, sauf que la probabilité de retomber sur un truc comme ça est bien faible, alors finalement tant mieux, maintenant c'est fait, vivent les mathématiques et les probabilités. Plus tard, cette histoire ne rassure pas du tout mes compagnons de voyage.
 
AGUAAAAAAAA! LEOOOOOO! AGUAAAAAA!
Ça y est. J'ai trouvé un ruisselet dans la terre, les branches, la mousse. j'attendrai les vingt minutes règlementaires pour boire, après administration des gouttes purificatrices, pour boire, mais on est sauvés. On a même retrouvé les quatre cavaliers de l'apocalypse, comme les surnomme Leo, qui me disent, "Naaaaaaan, Rafaaaaaaa, on n'a rien vu à la Lagunaaaaaa, y avait de la bruuuuume, putaaaaaaain, et là c'est coooooool, y a d'l'eaaaaaaau". Ben mon vieux, je suis contentde ne pas avoir choisi leur chemin. Ils empestent toutes les vapeurs possibles, sont déshydratés, bien qu'imbibés d'alcool,et je dois dire que j'admire leur vitalité, vu les conditions.
Bien rafraîchis, bien arrosés. On est prêts. Leo et Mariana ont retrouvé le sourire, moi aussi du reste. Bon. Mais on est en pleine forêt, là, rien de bien drôle. Allez, Chirca c'est pas loin. On terminera peut-être à la lanterne.
Ah.
Oui.
D'accord.
À la lanterne.
Dans la jungle. Cette putain de jungle déja pénible quand on y voit.
Eh bien oui. Nous y allons, il n'y a pas d'autre choix pour l'instant. Rien pour dormir, et on est peut-être à côté du bled.
Il est 18h10. Dans cinquante minutes, il fera nuit.
 
Une demi-heure avant l'obscurité, sous un coucher de soleil magnifique, on règle nos lampes. Mes piles sont médiocres, j'ai au plus deux heures d'autonomie. L'une de leurs lampes est à l'agonie. Devant nous, une suite de vallons et de bosses, au creux d'une des vallées, probablement, Chirca. À une heure, deux ou trois? Et toujours cette alternance de jungle et de prairie, qui deviendra une alternance de jungle et de jungle peu après. Plus la moindre place pour bivouaquer, il faut foncer.
 
A ce moment, je ne me sens ni triste ni gai, ni angoissé ni rassuré. J'ai rêvé que je me noyais dans un trou de vase. J'aime pas la jungle. Donnez-moi des déserts de neige, et je fonce. Ici, c'est le Vietnam des films, pour moi. Je repense à un peu tout, mes courses d'orientation en forêt de Creuse, mes premières grandes peur sur rocher (hein Robert, tu te souviens, le bois du Médonnet, il y a quelque chose comme vingt ans? J'étais pas fier!), mes courses d'escalade, de glace, mes copains, mes copines, la famille, ceux qui sont là et ceux qui n'y sont plus. Tous ceux qui comptent, les éclats de rire. 
Je passe devant. Mariana souffre, et je sens bien qu'elle n'est pas rassurée du tout. Elle va trébucher, buter, tomber, glisser, s'épuiser dans cette obscurité.
J'entre dans la jungle, une nouvelle fois. La nuit est tombée. Je sais que ma lampe est un gadget pour enfants, je l'éteins chaque fois que je m'arrête. "Aqui estoy!", que je lance pour qu'ils se repèrent. LA jungle prend une autre forme d'existence. Je ne la vois plus, sauf quand le faisceau de ma lampe fait varier les ombres, imite des mouvements brusques, des animaux peut-être. La jungle devient bruit et odeur. Une terre sale, mauvaise, perpétuellement détrempée, qui semble à la fois immobile, fangieuse, et assez légère pour venir s'attaquer à mes narines, peut-être trouver leur chemin jusque dans mes poumons. Je transpire, nous avons perdu de l'altitude, et la chaleur du jour est emprisonnée dans la végétation. Les bruits se multiplient. Des petits cris, des chants. Des souffles. Je regarde ma main. Elle n'est pas là. L'obscurité est totale. Je ris. Eh ben voilà, mon vieux, on y est. Tu aimes te confronter à tes cauchemars? Tu es servi. Nous y sommes. Et je ne me sens pas mal. Au contraire. Je commence à remarquer mon propre calme. Ça va. Je suis bien. Entouré de lianes, essoufflé par l'effort de tracer mon chemin, parfois en force, pour me libérer des branches, obligé de m'accroupir encore, ou de mettre les pieds dans des marécages que je ne peux plus voir, je me sens aspiré par la jungle. Et là, porté par la fameuse vibration si souvent et tellement mieux évoquée, notamment par Conrad, je commence à ne plus rien sentir du tout. Bien, parfaitement calme, dans une jungle, à l'autre bout du monde. Quand je suis né, le 27 juillet 1976, à quatre heures 20 de l'après midi (C'est bien ça, Maman?), il faisait chaud, vu que c'était une des pires canicules qu'on avait connu à l'époque. Des années plus tard, je marine dans un jus saumâtre, pas sûr que les choses qui me piquent le dos, entre la peau et la chemise, sont bien des branches.
 
Mariana, me semble-t-il, sanglote un peu dans le noir. Les nerfs, j'imagine. Je dis, allez, on fait la pause, les amis. On s'assied, peu importe où. On mange un bonbon, on boit. La lune s'est levée, on aperçoit des formes. On transpire, on souffle. On finit par se raconter des histories, des sorcières, de monstres, de forêt. On s'amuse de certaines coïncidences, sur nos prénoms respectifs. Leo est couché par terre, Mariana rit, je pousse de grands éclats de rire, comme ceux qui me connaissent savent que j'adore les pousser.
 
Une heure plus tard, au détour d'un virage, alors qu'on aura planté la tente dans une clairière pierreuse, Mariana s'étant couchée, Leo et moi, on regarde les étoiles, les nuages. On parle, on rit. On a mangé tout ce qui nous restait, une soupe mélangée de fromage et de salami, avec une poignée de pistaches, et un bonbon pour dessert. On évoque la Bolivie, ce que j'ai vu, ce qu'il en pense. Il ne me contredit pas lorsque je lui dis que les enfants de Totoral, on les a laissés à mi-chemin, entre la civilisation ancestrale, qui ne valait sans doute pas moins qu'une autre, et la nôtre, faite de télévision mais aussi de culture. Au bout de cette journée,  qui aura duré treize heures de marche pour moi, douze pour eux, nous ne sommes plus qu'à une heure de Chirca, des rires, de l'émotion de cette troupe angoissée. On me bénit, enfin, pas chrétiennement, on me remercie, et puis on nous raconte que la vieille folle du coin, à Chirca, a achevé de terrifier le groupe en racontant que la jungle, mes pauvres enfants, elle est infestée de pumas, de léopards, de serpents, de singes, et de fantômes, dont celui de son propre frère, suicidé.
 
Plus tard, le bus, et plus tard encore, les adieux à La Paz. Je rentre à l'hôtel, je me regarde, et je n'y vois ni peur, ni envie, ni angoisse, ni joie. La jungle rend fou, parce que l'homme, et à plus forte raison, l'homme blanc, n'y a pas sa place. Je me souviens de mon calme, de nos rires. Merde. La Paz. Je suis encore à La Paz...
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29 mars 2005 2 29 /03 /mars /2005 13:04
Cette ordure de Ramiro m'a obsédé trois jours durant. Je revoyais sa sale petite gueule se balancer quand il dansait, son rire merdeux, et ses propositions dégueulasses. Merde, me dis-je, le prochain qui sort une blague sexiste devant moi, je l'étale direct. L'overdose de machisme. Je repensais à ces femmes massacrées à Ciudad Juarez, balancées aux ordures après usage, et me disais que derrière certains de ces cadavres, il y avait des Ramiro, de ces salopards qui vous lancent des clins d'oeil quand vous les captez en train de reluquer les fesses de la jolie fille qui va aux toilettes, dans l'avion. Comme ces deux crétins qui me servaient de voisins dans l'avion Mexico-Miami. L'Internationale du machisme existe, et elle transcende pas mal de frontières, sociales, ehtniques, culturelles.
 
J'enrageais en sortant de Tres Rios. Je voulais monter, grimper. Foutre le camp de cette civilisation, je parle de la civilisation en général. Et là, il y avait encore des petits bonshommes qui me suivaient. JE suivais la route, alors que le chemin aurait dû m'emporter dans le hauteurs, mais comme j'ai dit, pas envie de sortir la boussole ou la carte dans le contexte, et les habitants, pour eux, y a qu'une route c'est la route. Adieu mine abandonnée de Siberia, de toutes façons aujourd'hui on ne voit rien. Finalement, y en a un qui me rejoint, ou l'inverse je ne sais plus. Il a onze ans, en paraît quinze, et se propose de m'accompagner jusqu'à son village. Je n'y vais pas, à son village, et il ne s'imagine pas queje veux déguerpir de toute face humaine, rien voir, rien entendre, marre des gens. "Comment tu t'appelles? -Ramiro." ARRRRRRRRGH!!!! Tout le monde s'appelle donc Ramiro, ici. Bon, celui-là est moins désagréable, on discute, mais tout timide, il me regarde à la dérobée, et se demande visiblement ce que fabrique un Güero dans le coin, et à pied. Avec un sac gigantesque. N'importe quoi, le mec,  en somme.
 
Oh, la nature, je l'ai vue et eue. J'ai eu le temps de purger ma mémoire de la face infâme de Ramiro premier. Quand j'étais sous ma tente, au troisième jour, par exemple. À côté du Cerro Aro Pampa, un petit col tout vert, et le ras-le-bol de ne rien voir. Au petit matin, mon conseil de sécurité intérieur a décrété les sanctions contre la brume incessante, et même la plui qui m'avait agressé le matin même: Pas un pas de plus! On attend. L'Illimani et ses 6000m sont à côté, et je n'ai encore rien vu! Des clous! Ni Madre! Je n'avance plus, j'ai pas fait des milliers de kms, payé plein d'euros et subi Ramiro pour en plus ne rien voir. La biographie du Che par Paco Ignacio Taibo II et ses 700 pages devraient suffire à m'occuper, la journée s'il le faut. Il le fallut. 24h d'attente, juste pour un paysage, que j'avais entrevu la nuit précédente, impressionant, à la lueur d'une lune presque pleine. On n'était plus très loin de la fameuse lagune aux serpents, la Kasiri, et je voyais au loin se dessiner des chaînes évocatrices du Mordor de Tolkien. Pas rassurant? Ben non, en fait, je me sentais bien, je regardais passer les gens, ceux qui me lançaient, pour me vanner, que je ferais mieux de descendre vers le beau temps, ou que ça y était, il faisait jour, qu'il fallait se lever (L'Internationale des Connard existe donc bel et bien, y a vraiment des gens qui s'ennuient dans leur tête).
 
Je digérais. Je laissais se diluer la première nuit. Totoral. Estancia Totoral, pour être exact. D'après mon guide, "un village joyeux, pittoresque, apparemment perpétuellement engagé dans une partie de football." Infâme Hilary Bradt (auteur du livre)! Rien de pittoresque, rien de joyeux dans mon regard. Celui de la nuée d'enfants qui m'entouraient à mon arrivée était effectivement joyeusement curieux. Un Blanc! A pied! D'habitude, ils passent à cheval. Je me demande à présent si ces cavaliers blancs sont de ces touristes organisés ou les fantômes des enfants de cochons qui, de conquête en aplatissement culturel, ont apporté la télévision mais oublié d'amener l'école.
La misère, voilà ce qu'est Totoral. Des mômes minuscules, qui marchent en sandales défoncées, vêtements troués, visages abîmés, qui vous demandent de quel village vous venez. Je réponds Mexico, j'oublie la France, parce que Mexico, ici, ça n'existe déja pas. Et mon village, il est grand? Oui, dans les 20 millions d'habitants. Bon, je me mords les lèvres, parce qu'ici, on ne compte rien par millions. Totoral, le monde à la dizaine.
Et ton équipe de foot? Les Pumas, les Pumas de Mexico. Ah, là, réaction. Admiration. On me récite des noms, et j'acquiesce, je dis oui, mais ils ont perdu il y a deux jours, mais c'est pas grave, on va rencontrer les Chivas, et on va les massacrer, ils sont nuls.
Et les gosses, dont maintenant deux ou trois grands gars, de répéter d'un air rêveur, "les Pumas de Mexico..." Je monte ma tente, je fais le clown, j'en fais des tonnes, ils se marrent quand la tente s'effondre juste après que j'ai déclaré fièrement, "mi casa!".
Au fait, savez-vous où nous sommes? Je campe sur le terrain de football. Là, pas de problèmes, dimensions règlementaires. Des ânes et des poules se baladent et chient dessus, une moto abandonnée trône pas loin de moi. Il fait froid, humide. Les gamins vont chercher un ballon pour jouer avec Raphaël le Mexicain. Moi je leur dis, je suis nul, fatigué et conscient de l'obscurité qui avance, mais ils commencent quand même à me bombarder. Un oeil sur la tente, sait-on jamais, je jongle et dribble. Ça doit aussi en faire se tordre de rire, hein les gars, Raphaël qui joue au foot? Ouais, vous n'imaginez pas. Contrôle de poitrine, coup de tête... Je n'invente rien.
 
Au petit jour, après ces 24h d'attente, j'ai triomphé. Grand beau temps. Paysage promis, paysage dû. J'ai dansé tout seul en chantant et en insultant tous ces cons qui rigolaient hier, en me regardant planqué sous ma tente. Moi au moins, j'ai un paysage! Je suis parti bien tranquillement, tout remballé bien sec, pas en courant comme pour fuir Totoral ou Tres Rios.
Ça commençait pour de bon. J'ai finalement laissé les dingos qui voulaient m'entraÎner vers la Laguna Kasiri, une bande de jeunes qui trimballaient manifestement tout un tas de joyeusetés pour s'amuser sur le bord de la Laguna. "Ouaaaaaaaais, vieeeeeeeeens, meeeeeeec.....Naaaaaaan, y a pas de serpents géaaaaaaaants...." De toutes façons, fallait monter, descendre, monter, et avec 25 ou trente kilos sur le dos, hein... J'ai donc choisi de contourner Khala Ciudad, massif de montagnes (et pas une ville, comme je le croyais comme une andouille) par la gauche plutôt que par la droite, n'y voyez aucune allusion politique.
 
Une journée de rêve. Une piste Inca, ou pré-Inca, une sorte de chemin pavé. Le soleil. Des vallons abrupts, avec des chevaux, peut-être sauvages, en train de paître au fond. Des passages encaissés, des canyons miniatures. Du vert, de l'herbe fraîche, des petits ruisseaux, et ça monte, ça monte... Merci maître Jan, le frère d'Allan qui m'a prêté son altimètre. Objet curieux, enchâssé sur un couteau suisse, qui fera l'admiration du groupe de Gustavo et des autres. J'avoue que j'étais sceptique, mais c'était parfait et totalement fiable.
 
J'ai marché, tranquillement, paisiblement, me suis arrêté souvent, rien que pour regarder, respirer. Même plus un de ces bergers qui s'arrêtaient tous pour me demander un bonbon, avant de me tendre une patte rêche pour me saluer.
La liberté, en somme, un vrai petit bout de Thoreau au milieu des Andes. Des paysages qui se succèdent, malgré des nuages qui montent doucement, lourds d'eau.
 
Ils m'avaient dit qu'ils continueraient pendant quatre ou cinq heures, selon leurs forces. "Ah? Vous allez terminer ce soir, alors?" Ouais ouais ouais, m'a répondu Gustavo, Bolivien à l'allure de Fakir. J'ai continué, mais je ne les ai pas revu avant le lendemain, où ils m'ont expliqué qu'ils avaient préféré camper, une de leurs camarades étant blesée au genou. Ah, ça, évidemment...
 
24h plus tard, on se connaîtrait encore mieux, Quand un autre d'entre eux, alors que je leur donnais toute ma nourriture superflue en prévision de l'assaut final, pour m'aléger, quand Vladimir m'a surnommé "El Profesor" et fait applaudir pour ma générosité.
 
Elle ne marchait décidément pas vite, mais à ce moment-là, encore suffisamment pour que je ne me sente pas trop retardé en restant derrière elle. Mariana, s'appelait-elle. La copine de Leonardo, j'y reviendrai. Un peu fière, elle ne voulait pas me croire quand je lui conseillais de plier plus le genou dans les descentes, histoire de faire fonctionner l'amortisseur. Moi j'm'en foutais, j'avais déja des stigmates´christiques, en m'étant banané comme un idiot, à admirer la montagne sans regarder où je mettais les pieds. Du coup, j'y ai mis les main, la droite notamment, sur un caillou qui m'a bien éraflé la paume droite. Coup de trouille, demain ou après-demain je suis dans la jungle, désinfectons gaiement. On a beau dire, c'est comme quand on était petit, ça piiiiiiiique!
La troupe de Gustavo, dont faisaient partie Mariana et Leo, je les ai retrouvé un peu plus loin. Ils commençaient s'amuser de me voir revenir toujours à leurs basques, jamais bien loin, toujours prêt à lancer une plaisanterie ou un clin d'oeil. Moi aussi, ça m'amusait. J'étais très bien tout seul, et même si on avait tous à peu près le même âge, on ne faisait pas semblant de fraterniser pour se donner un genre. Y avait là-dedans toutes sortes de visages, des bohèmes et des altermondialistes évidents, des chevelus... Je me suis rendu compte que là, avec mon matériel high-tech (l'altimètre les faisait bien rire, et mon petit rituel de la carte et la boussole aussi, mais ils ne détestaient pas se pencher par-dessus mon épaule), mes cheveux courts et juste une longue barbe, je n'avais plus rien à voir avec l'image de joyeux fan de heavy metal que je donnais de moi-même il y a encore peu. Merde! J'avais l'air d'un bourgeois!
 
J'hésite. Il y a une pierre, là, et une autre après... Mais il faut se baisser, les branches sont basses... Et là, à sonder avec le bâton, il y en a pour un bon 20 centimètres d'une eau pas engageante du tout... Allez, j'y vais. Premier pas, ok, deuxième, ah, non, plouf, et replouf, et oh putain, c'est vachement profond, et merde, mes chaussures sont submergées, c'est froid, on dirait que ça m'aspire, j'y mets la main, celle qui saigne encore, merde! J'avais rêvé, à La Paz, que je tombais dans un trou de vase et que je m'y noyais, tout seul dans la jungle bolivienne. Je me sors de cette cochonnerie, je râle, je peste. Et puis je me dis, merde, on le savait, on dégage, on s'est préparé pour ça, alors on y va, on continue et on arrête les pleurnicheries. Et une heure plus tard, je retmobe sur la bande à Gustavo, avec qui on s'était dit, "oh, ben on campera ensemble, si vous allez jusqu'au Cerro Astillero".
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29 mars 2005 2 29 /03 /mars /2005 13:02
Rien que ça! Le voilà qui s'approprie le maître Joseph Conrad!
 
Ben oui, mais vous savez bien que Conrad est un de mes maîtres, et que ceux qui n'ont pas encore lu Coeur des Ténèbres (Heart of Darkness, Corazon de las Tinieblas, et, euhhhh, bref, cherchez, les autres) devraient le faire illico presto.
 
Salut les amis, la familles, les joyeux compagnons, et tout ça dans le désordre.
 
Vivant. Je suis vivant.
 
Comment commencer? Comment revenir sur une semaine d'épreuves, d'effort, de beauté et de rudesse qui s'est achevée dans un délire de nature, de drogue et de privations?
 
Des allers et retours, peut-être. Commençons dans le désordre, l'ordre se fera peut-être au fil de mes frappes. Et ceux qui le souhaitent, les fans, recevront l'intégrale de mes carnets dûment recopiés dès mon retour à Mexico, y a qu'à en faire la demande, et le Raph vous livre ça chez vous.
 
Ici La Paz, une fois de plus. Vous allez dire que je pompe Apocalypse Now, ce qui est logique puisque j'ai commencé par siphonner Conrad (qui inspira le film, pour ceux qui l'ignoraient encore). Réveillé pas du métal qui tombe dans une caisse en métal, et les bruits de la rue, les sifflets et les klaxons. Une chambre de 5m sur 2, le lit qui prend toute la place, la télé que je n'arrive pas 'a faire marcher, et d'ailleurs je m'en fous. Un miroir m'a renvoyé une image invraisemblable, hier soir. Amaigri, sec comme un coup de trique, sale, des brindilles encore plantées sous la peau, des mains et des bras, et de la terre sur le visage. La peau brûlée, les lèvres gercées. Même respirer m'épuise, aujourd'hui.
Hier, dans le bus qui me ramenait à La Paz, la fenêtre ouverte sur les gouffres qui défilaient à parfois 20 centimètres des roues, je recevais le vent, je lorgnais les flancs, ceux de la montagne bolivienne, dont la couleur n'est finalement que rarement blanche. Je l'ai appris à la dure, cette semaine. La montagne est verte. Un vert sombre, qui la recouvre presque entièrement, depuis ses crêtes parfois habitées d'un hôtel grand luxe jusqu'à ses profondeurs marécageuses ou tourmentées de rios violents. Sous les 3000, la jungle.
 
Je savais que la fin serait éprouvante. Mes carnets disent qu'au matin de ce que je pensais être le dernier jour, j'étais prêt à donner l'assaut final.
 
Et avant? Qu'avais-je fait pour être aussi sombre, aussi dense, ramassé sur moi-même, à flanc d'une montagne, dans une humidité gluante, comme la boue qui avait englouti mes pieds jusqu'aux mollets?
 
Marché. J'avais marché. J'avais commencé dans la bourgade de Tres Rios. Descendu d'un de ces camions-bus si pittoresques à la télé, manoeuvrés par des sagouins qui font hurler des freins agonisants dans les descentes de chemins de traverse, j'avais commencé par rassembler mes affaires, et me diriger vers une sorte d'auberge, ou de restaurant, ou de cabane à peine aménagée. Y avait des voix, celles de deux gnomes d'une vingtaine d'années, bonnet sur la tête, jogging, oeil hagard, manifestement bourrés. "Como estas Pééééé?".
J'ai répondu que bien, et que oui, je voulais bien manger, et même boire. Et l'autre, là, le meneur, le "Pééééé", s'installe en face de moi. C'est un Péruvien, c'est pour ça qu'il ponctue avec des Péééé comme des Argentins diraient Che, et des Marseillais Putaing ou Enculé. Je me dis, ils sont déja bien farcis, finissons-les, admirez la maîtrise du Grand Blanc, j'attrape une bouteille dans chaque main et je verse en simultané. Oh, Ah, Wouah. Je garde quand même un oeil dans la nuque, pour surveiller mon sac, parce que ce Ramiro m'a tout l'air de la mauvaise graine.
J'avais raison. Qu'y a-t-il de pire que de se réveiller avec la gueule de bois? Supporter les divagations d'un ivrogne de vingt ans. Ce Ramiro me demandait environ toutes les deux phrases comment j'allais, et que c'était la fête à Tres Rios, et qu'on allait s'amuser, et qu'on allait boire. J'ai commencé à lui faire comprendre que ce serait sans moi. Ramiro dit, je suis venu du Pérou pour la semaine sainte. Je lui réponds que c'est bien (Et j'en pense que je m'en fiche comme de l'an quarante, et que je veux dégager de ce guêpier, que Tres Rios est sordide, sinistre, et rempli de saligauds comme celui-là. En plus il fait pas beau.).
Et là l'horreur déboule sans prévenir. "Y que tal las Cholitas? Pééééé? Para joder? Péééé?".
Je traduis pour les non-hispanophones. "Et les petites Indiennes? Heeeeeeein? Pour la baise? Heeeeein?".
Vous aimez le racisme, le sexisme? Ramiro est fait pour vous. J'avais déja pris sur moi pour ne pas vomir sur mon voisin de bus qui me posait la même question, clin d'oeil salace et coup de coude, hein mon vieux, hein, les p'tites Indiennes? Comprenez-moi bien, je n'ai rien contre une bonne plaisanterie, fût-elle de mauvais goût. Mais là, la boucle se boucle: Ramiro m'a lancé fièrement qu'il était un indien Aymara. Et m'a prouvé qu'il maîtrisait sa langue originelle. Mais les Cholitas, hein, c'est pas pareil,hein, Péééé, hein, pour la baise, pour s'amuser, hein, qu'est-ce t'en dis Péééé...
Je ne lui dis rien, je dévie, je lui dis que ouais ouais, et que c'est pas tout ça mais qu'il va bien falloir y aller (il s'en fout, il recommande un litre de bière et danse abominablement sur une musique abominable). Ici, la Cholita, ce n'est même plus un être humain. Cet immonde porc (et je pèse mes mots) était prêt à passer de la fierté ethnique au proxénétisme, au maquereautage piteux, parce qu'au-delà des différences qui font qu'un grand blanc et un petit Aymara c'est pas tout à fait pareil, il y a la fierté et la connivence supposées du mâle. Et qu'on est entre nous, hein, les Cholitas c'est pas pareil, nous on peut boire des coups ensemble, les Cholitas c'est pour la baise...
 
Autant vous dire que j'ai fui Tres Rios. Histoire de minimiser les risques, j'ai fait boire Ramiro jusqu'à ce qu'il danse de moins en moins vite, puis je me suis levé, bien droit bien raide, j'ai fait craquer toutes mes jointures bruyamment en le regardant droit dans les yeux sans sourire, et quand son copain m'a demandé quel âge j'avais et quel travail je faisais, je me suis ajouté cinq ans et je me suis inventé une carrière passée de dix ans dans l'armée. Sans sourire. Et puis je suis sorti, et je me suis barré de ce bled effrayant, sans regarder ma carte, sans rien sortir, j'ai laissé la brume moite se refermer sur le spectre du grand blanc.
 
Ça doit en faire marrer un paquet d'entre vous, ça. Raphaël le Militaire! Mais pour un petit salaud comme Ramiro, à qui j'ai promis de repasser sur le chemin du retour, ça a suffi.
 
Ce n'était que le début d'une légende.
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