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Mes virées, mes carnets...Bienvenue chez moi. C'est-à-dire nulle part.

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30 juillet 2007 1 30 /07 /juillet /2007 14:54

     Kermanshah, 22h44.


Je me sens curieusement sec de mots. Au bout de six jours de virée dans l’Iran généreux, oscillant entre des souvenirs déjà vieux et des visions nouvelles, les phrases me semblent rester à l’état de ridules sur une mer d’huile. La fatigue de la route, probablement (26 heures de car sur les dernières 48), ainsi peut-être que l’indéniable effet kaléidoscopique de rencontrer de nouveaux visages, de nouvelles voix, et presque toujours de nouvelles chaleurs bienfaisantes chez ces stupéfiants Iraniens. Nous méditons encore le mystère de la bonté iranienne, en perspective avec les aspects les plus sinistres offerts par le gouvernement actuel.

La liste est dorénavant trop longue, depuis le marchand de thé qui nous a offert celui que nous lui avions commandé jusqu’au jeune chauffeur de taxi qui m’a offert la cassette que nous écoutions, simplement parce que j’avais manifesté mon intérêt. Sans oublier le visage éclatant de plaisir de notre compagnon de route de la nuit d’hier, qui nous a offert riz soufflé, fruits et thé, bonbons et bises pour le seul bonheur d’une conversation, ou encore le père de famille avec ses deux garçons jumeaux, qui traduisait leurs questions footballistiques.

Peut-être n’y a-t-il que peu à ajouter. Paraphrasons Bouvier, le voyage me fait. J’ai même la passivité de le laisser venir à moi. L’Iran est venu à moi; Roland, puis Matthieu ont eu l’idée de ces deux voyages, respectivement. Moi, je suis. J’ai suivi, donc j’ai été. C’est aussi simple que ça.

J’hésite à écrire. Je me force. Moins de longues envolées, c’est toujours ça de gagné pour quand les bulles seront éventées.

Pourtant, je demeure à la confluence : une valise toujours faite, dans mon idée du moins, et un trousseau de clefs dans mon sac, les quelques clefs de ma routine.

Entre tous les points du globe, on trouve presque toujours de longs rubans qui les relient. Les parcourir m’aide peut-être à relier mes propres bornes. Ou à les repousser.

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30 juillet 2007 1 30 /07 /juillet /2007 13:35
C'est l'histoire de deux mecs qui vont en Iran en été, qui crèvent de chaud une partie du temps sauf quand ils vont dans les montagnes de l'Iran Turc, s'aplatissent les fesses dans des trajets interminables en car, débarquent dans des bourgades au milieu de la nuit ou au petit jour, se goinfrent un jour, jeûnent le lendemain, dorment où ils peuvent et quand ils ont le temps, bronzent, brûlent, parlent, parlent, discutent, serrent des mains à longueur de rues, se font offrir thé, graines de tournesol, fruits, ragoût, coca, sans jamais pouvoir ni refuser ni à peine rendre la pareille, et qui s'apprêtent à aller récupérer de la dernière nuit de car dans un Mosaferkhune de Kermanshah, avant d'aller finir la journee devant des fresques millénaires.
 
Bref, Mon cher frère et moi sommes bien en Iran, en route vers le bouillant Golfe Persique.
Apres une virée près de la Turquie et de l'Azerbaidjan, à Tabriz, nous avons piqué vers le Sud.
Arrivés aujourd'hui à Kermanshah, près de la frontiere irakienne, nous ne pouvons que nous ébahir chaque jour un peu plus de la profonde bonté et de l'immense générosite des Iraniens. Une sacrée lecon. J'avais été impressionné l'an dernier, mais nous battons des records. Je ne sais pas, on doit être sympathiques, mais je crois surtout que les Perses sont décidément un peuple à part.
 
J'en raconterai plus, promis, quand j'aurai ingurgité le kebab promis et dormi quelques heures dans l'hotel du coin.
 
PS individuels : Cédric Urbaniak, on pense à toi tous les jours. Soizick, 40 degrés, ca ne me parait pas si chaud. Christophe Redregoo : Bon emménagement. Maman : pour Internet, vois avec Matt.
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28 juillet 2007 6 28 /07 /juillet /2007 14:52

Ardebil, 22h34.


En plein cœur de l’Iran turc, ou presque, dans mosâferkhâné (auberge de jeunesse) plutôt convenable, pourvu de solides matelas de polystyrène (!).

Heureusement, la route de la Caspienne nous a moulus douze heures durant, ajoutées à une nuit dans une chaleur infernale.

Nous avons donc quitté Sari sans regret, après cependant une rencontre agréable, celle d’un jeune appelé malingre, Mehdi, malade du cœur et admirateur de Saddam Hussein. Fils de bonne famille, il ronge son frein en garnison dans la région, à Rasht, si ma mémoire est bonne. Heureux de pratiquer son anglais, il nous a fait le tour du propriétaire de “sa” ville.

A retenir, un autre Mehdi, qui nous a invité à déjeuner sur la route. Incroyable! Il s’agit d’un marin (officier sans doute) de la marine marchande (compagnie “dont le siège est à Londres”...), qui nous a, lui aussi, laissé son numéro de téléphone au cas où... Si un problème se présentait, nous ne saurions plus qui appeler... En premier!

Ces rencontres, auxquelles il convient d’ajouter la chaleureuse bienvenue des jeunes gens qui se trouvaient devant l’hôtel, contrastent avec le petit goût amer laissé par “l’affaire Abbas” et le froid dans le dos suscité par une sorte de djihadiste croisé à la gare ferroviaire de Téhéran. Seule barbe broussailleuse, il avait l’oeil exalté et m’a posé les questions habituelles (origine, activités en Iran, profession...) dans un anglais trop parfait pour être honnête. Notre teint et nos barbes l’ont induit en erreur (nous crut-il musulmans ex-yougoslaves?), car nous n’allions pas, comme lui, à Mashhad, la plus grande université islamique, bien proche de l’Afghanistan...

 

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27 juillet 2007 5 27 /07 /juillet /2007 14:51

21h50, Sari.


Dans cette petite ville au nom de vêtement indien, j’atteins aujourd’hui 31 ans. Je me rappelle qu’il y a exactement 18 ans, les deux bougies 1 et 3 s’étaient inversées entre mes doigts, et que l’âge canonique qu’elles formaient m’avait légèrement troublé. Ça pouvait donc aller si vite, un mouvement du doigt et on y serait? Eh bien oui... Et non. C’est comme si c’était hier pour ce souvenir, mais il s’en est accumulé entre deux, je n’ai pas à me plaindre.

Aujourd’hui, jour cher, trop cher. Le coyote Abbas, mélange d’acteurs hollywoodiens, nous a convoyés depuis Téhéran, après un échec à la gare ferroviaire et un autre (à vérifier, celui-là) à la gare routière. Une belle empoignade entre les vautours-taxis, Abbas emporte le morceau. Nous payons environ 10 fois le prix normal, c’est bien triste mais encore dans nos moyens (tant que ça ne se reproduit pas). Ce qui est nettement plus triste, c’est le regard de la jeune femme d’Abbas lorsque ce dernier achève de nous plumer. Après un crochet hospitalier par la maison familiale, avec thé, fruits et photos (et nos promesses de les envoyer), nous avons emporté avec nous madame et sa fillette.

A l’heure des adieux, alors qu’Abbas, ce ruffian, tente de nous bourrer le mou pour une nouvelle et onéreuse cavalcade demain, nous surprenons un regard d’une infinie tristesse de Mme Abbas, qui va de sa fille à son mari, et, de moins en moins, à nous.

On ne peut même pas vraiment lui en tenir rigueur, à ce sacré Abbas. Le regard de sa femme n’en fait pas un triomphateur. Quant à nous, on fera maigre quelques jours, on n’en mourra pas.

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26 juillet 2007 4 26 /07 /juillet /2007 14:48
Téhéran, 19H29.


BBC World, putting the news first”.

Les barbus essaient de boucher la digue avec leurs petits doigts, mais ça craque et ça déborde.

Comme l’an passé, les conversations informelles sont aussi amicales que vives. Parke-e-Jamshidyeh, l’un des plus grands parcs de la ville, tout en ombrages et ruisselets, en fontaines et en kiosques, sur des étages à s’essouffler. Deux couples, les grands yeux lorsque nous affirmons notre amour du pays. Inutile de gratter, les critiques fusent au bout de deux phrases : Ahmadinejad est le pire, le gouvernement est mauvais et le système entier doit changer.

Les familles passent alentour, et un regard furtif trahit un reste de méfiance, mais l’excellent anglais de nos nouveaux jeunes amis les laissent penser que notre conversation ne peut être comprise. Et surtout, il nous est confirmé que le parc est une soupape. On n’y est pas -trop- fliqué, on reste prudent par habitude, mais avant tout, on y respire.

Conclusion par échange de coordonnées sur... mon avant-bras gauche, par une belle jeune femme, au milieu des rires.

Le soleil brûle, “hello!” nous lancent de nombreux passants. Sourires sur le trottoir, corrida sur la chaussée. Nuage de smog et hauts buildings du Nord de la ville.

Muezzins autour de l’hôtel. Danses sur le rythme des mains qui claquent au parc, un vieux chanteur et joueur de luth dans la rue, hier.

Des petits chats qui jouent parmi les pneus de l’une des innombrables boutiques de pièces détachées.

Des mèches qui jaillissent d’un foulard, un foulard qui tombe, laissant voir, au-dessus d’un visage concentré sur un téléphone, une magnifique chevelure.

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25 juillet 2007 3 25 /07 /juillet /2007 14:45

Téhéran, 02h54.


Bien arrivés, voyage sans histoire mais tendu : y aurait-il une chambre? Pourrait-on changer un peu d’oseille? Trouverait-on un taxi pas filou? Et que d’attente à Moscou...

Adieu les filles des publicités, adieu l’alcool, nous (re...)voici en IRAN!

 

 

Téhéran, 22H27.


Ou comment se sentir à peine parti d’ici. Plus d’un an déjà que j’ai quitté Téhéran au matin d’une nuit blanche à l’aéroport Mehrabad, et voilà qu’en moins de 24h dans cette ville finalement inconnue, j’ai la sensation d’être parti il y a bien peu.

Toujours sur moi-même : je crois me souvenir d’une sorte de soulagement en partant. Mais pourquoi?

Ce retour pas éternel commence à générer d’étranges étincelles d’émotions : entre autres, H. et Roland me manquent, et j’aimerais qu’E. soit ici.

Pour le reste, la déambulation est un sport. Le vacarme, la pollution, la bousculade nous font déjà utiliser notre chambre comme une pièce d’isolement en hôpital psychiatrique : trop de stimulation, diagnostiquons-nous, ainsi qu’une trop courte nuit.

Et au nombre des éclairs étourdissants, un trône de marbre, des nains et des monstres morts depuis cent ans, un palais dans les montagnes et d’autres morts dans une tour du silence.

Mais surtout la beauté des visages, les sourires et les salutations, et les conversations avec deux femmes, l’une d’entre elles nous apportant sa petite fille timide pour tester son anglais.

A quelques pas de la sortie de l’hôtel, un vieux gaillard sur sa moto nous hèle, nous souhaite la bienvenue. Les premières poignées de main.

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21 mars 2007 3 21 /03 /mars /2007 12:04
Un lien pour quelques photos de Berlin, hiver 2007. : http://albums.koffeephoto.com/album/eDwthMatkrZeUFW5FAvufNvF/
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30 janvier 2007 2 30 /01 /janvier /2007 17:24
Bonjour à tous.
 
D'aucuns se demandent à quoi s'occupe le barbu le plus célèbre de l'Alliance Française de San Angel, et d'autres ne le savent que trop bien. A part les épuisantes tâches administratives qui accompagnent la naissance programmée de mon école, l'Institut Picard de Langues, et les incessantes relectures de ma thèse, il me reste encore un peu de temps pour prévoir de nouveaux voyages, me tailler la barbe et lire (un peu). Et aussi, cela va sans dire, pour me lamenter sur le sort du monde, le refaire à l'occasion, m'en plaindre encore après, critiquer, regretter, me moquer, pouffer, vociférer, vitupérer, louer (pas souvent), m'exclamer, m'illusionner (plus si souvent), et me remettre à râler.
 
C'est ainsi que je débarquai dans une France pré-électorale (mais elle l'est en permanence), agitée çà et là de quelques débats de société. Au menu : les salaires en stagnation, le pouvoir d'achat en chute libre, les promesses de lendemains qui chantent en forte hausse, les jeunes au chômage, les vieux inquiets pour les jeunes, les entre les deux trop riches ou trop pauvres selon les autres ou eux-mêmes.
Et, au coin des petites modes bien repoussantes, cette âneries suprême, qui, paraît-il, fait le nectar d'une frange de la catégorie que j'abandonne peu à peu : les jeunes. Je parle du Happy Slapping (en gros : baffe marrante), sombre connerie très à la mode en ces temps d'ypermédiatisation de soi, via des portables tellement perfectionnés qu'on s'attendrait à ce qu'ils conduisent votre voiture, sauf que vous n'avez pas de voiture, étant donné les salaires, le pouvoir d'achat, etc, cf. supra.
Le Happy Slapping, qu'est-ce que c'est? Le principe est simple : une ou deux ou trois personnes se promènent dans la rue, avisent un gaillard (ou une frêle jeune femme, c'est selon), et se jettent sur lui, pour lui administrer une gifle, ou pire, c'est selon aussi. Et tout ça pour quoi? Pour rien, pour rire, parce que c'est gratuit, et que la victime en fait une drôle de tête.
Je passe sur les pires dérives dont on entend parler (passages à tabac, viols, etc) pour me concentrer sur l'étincelle d'origine. Car voyez-vous, il n'y a pas si longtemps, j'étais jeune moi-même. Est-ce que je faisais des choses pareilles? Non, bien sûr. J'étais si bien élevé... J'étais surtout trouillard et pas bien épais, et le "slapper" aurait été slappé vite fait. Et puis c'était pas à la mode, enfin j'en sais rien, je n'ai pas souvenance de trucs pareils du temps de la génération Nirvana.
Mais alors quoi? Qui? D'où? Quels sagouins ont inventés cette sagouinerie?
Nul ne le sait.
Je n'ai pas de solution, ni d'autre observation à faire, si ce n'est bien sûr qu'ayant grandi et forci, gare au slapper freluquet qui tenterait sa chance face à l'ex-jeune de mauvais poil que je suis devenu!
 
Et en guise d'envoi, je vous joins ce texte de Victor Hugo, court extrait de l'Homme qui Rit, ma lecture d'été, qui faisait déjà un affligeant inventaire de modes fort comparables en des temps reculés. Vous m'en donnerez des nouvelles. En attendant, faites attention dans les rues.
 
R
 

« (…)Il y avait le Club des Coups de Tête, ainsi nommé parce qu’on y donnait des coups de tête aux gens. On avisait quelque portefaix à large poitrail et à l’air imbécile. On lui offrait, et au besoin on le contraignait d’accepter, un pot de porter pour se laisser donner quatre coups de tête dans la poitrine. Et là-dessus on pariait. Une fois, un homme, une grosse brute de gallois nommé Gogangerdd, expira au troisième coup de tête. Ceci parut grave. Il y eut enquête,  et le jury d’indictement rendit ce verdict : « Mort d’un gonflement de cœur causé par excès de boisson. » Gogangerdd  avait en effet bu le pot de porter.

Il y avait le Fun Club. (…) le fun est à la farce ce que le piment est au sel. Pénétrer dans une maison, y briser une glace de prix, y balafrer les portraits de famille, empoisonner le chien, mettre un chat dans la volière, cela s’appelle « tailler une pièce de fun ». Donner une mauvaise nouvelle qui fait prendre aux personnes le deuil à tort, c’est du fun. (…) Le fun serait fier si c’était lui qui avait cassé les bras à la Vénus de Milo. (…) Les membre du Fun Club, tous de la plus haute aristocratie, couraient Londres à l’heure où les bourgeois dorment, arrachaient les gonds des volets, coupaient les tuyaux des pompes, saccageaient les cultures, éteignaient les réverbères, sciaient les poutres d’étai des maisons, cassaient les carreaux des fenêtres, surtout dans les quartiers indigents. C’étaient les riches qui faisaient cela aux misérables. C’est pourquoi nulle plainte possible. D’ailleurs c’était de la comédie. Ces mœurs n’ont pas tout à fait disparu. Sur divers point de l’Angleterre ou des possessions anglaises, à Guernesey par exemple, de temps en temps on vous dévaste un peu votre maison la nuit, on vous brise une clôture, on vous arrache le marteau de votre porte, etc. Si c’étaient les pauvres, on les enverrait au bagne ; mais ce sont d’aimables jeunes gens.

Le plus distingué des clubs était présidé par un empereur qui portait un croissant sur le front et qui s’appelait « le grand Mohock ». Le mohock dépassait le fun. Faire le mal pour le mal, tel était le programme. Le Mohock Club avait ce but grandiose : nuire. Pour remplir cette fonction, tous les moyens étaient bons. En devenant mohock, on prêtait serment d’être nuisible. Nuire à tout prix, n’importe quand, à n’importe qui, et n’importe comment, était le devoir. Tout membre du Mohock Club devait avoir un talent. L’un était « maître de danse », c’est-à-dire faisait gambader les manants en les lardant les mollets de son épée. D’autre savaient « faire suer », c’est-à-dire improviser autour d’un bélître quelconque une ronde de six ou huit gentilshommes la rapière à la main ; étant entouré de toutes parts, il était impossible que le bélître ne tournât pas le dos à quelqu’un ; le gentilhomme à qui l’homme montrait le dos l’en châtiait par un coup de pointe qui le faisait pirouetter ; un nouveau coup de pointe aux reins avertissait le quidam  que quelqu’un de noble était derrière lui, et ainsi de suite, chacun piquant à son tour ; quand l’homme, enfermé dans ce cercle d’épées, était tout ensanglanté, avait assez tourné et dansé, on le faisait bâtonner par des laquais pour changer le cours de ses idées. D’autres « tapaient le lion », c’est-à-dire arrêtaient en riant un passant, lui écrasaient le nez d’un coup de poing, et lui enfonçaient leurs deux pouces dans les deux yeux. Si les yeux étaient crevés, on les lui payait.

C’étaient là, au commencement du dix-huitième siècle, les passe-temps des opulents oisifs de Londres. Les oisifs de Paris en avaient d’autres. M. de Charolais lâchait un coup de fusil à un bourgeois sur le seuil de sa porte. De tout temps la jeunesse s’est amusée. »

 

 

 

Victor Hugo, L’Homme qui rit, II, 1. Eternelle présence du passé, Magister elegantiarum.

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17 avril 2006 1 17 /04 /avril /2006 17:35

Introduction pour mon récit iranien, qui vaut peut-être pour mes aventures boliviennes également.


Téhéran, aéroport Mehrabad

Je l’ai peut-être écrit quelque part, mais à l’origine, je n’avais aucun intérêt particulier pour le monde hispanique. J’ai fini par vivre deux ans au Mexique, et me perdre dans la jungle bolivienne. À l’origine, je n’avais aucun intérêt particulier pour le Moyen-Orient. J’ai fini par apprendre le Persan et m’user la carcasse dans les bus iraniens.
Mieux encore. Né en 1976, et grandissant au sein d’une famille où les vagues de l’océan mondial étaient passées à l’épuisette par tout le monde au repas, j’avais une dizaine d’années lorsque j’ai pris conscience de quelques événements qui secouaient sérieusement la planète. Pour ma jeune imagination, les Français exécutés par le Sentier Lumineux péruvien et l’interminable feuilleton des otages du Liban ont vite constitué deux points cardinaux, deux trous noirs dans ma galaxie enfantine. Je crois bien qu’à cette époque, si on m’avait prédit que 20 ans plus tard, j’irais me promener dans des endroits pareils, et dans des contextes pas si différentes (je ne ferai jamais d’angélisme en la matière : le fait que je m’en sois sorti jusqu’ici sans une égratignure ne me rend pas aveugle ni insouciant quand aux réalités des pays que j’arpente, tout comme je ne méconnais pas les dangers des montagnes que je gravis), je crois que j’en aurais pris une frousse verte et qu’une partie de mes cheveux serait tombée, tandis que l’autre aurait commencé à blanchir, ce qui m’aurait amené exactement où j’en suis, sur le plan capillaire du moins.
Tiens, ajoutons ceci : à l’origine, je n’étais pas spécialement fasciné par le voyage non plus… Les astronautes et les spéléologues me terrifiaient de claustrophobie, et pour ce qui est de la montagne, j’ai toujours préféré gambader dans les descentes que transpirer dans les montées. La discipline, je me la suis imposée en grandissant et en mûrissant. La volonté, je l’ai découverte en me confrontant à ces difficultés. Pas par esprit de compétition, que je n’ai jamais eu, mais bien plutôt par curiosité. Jusqu’où puis-je marcher, combien de temps puis-je résister au froid, à la chaleur, à la faim, à l’absence de musique… C’est comme ça qu’on se fabrique, je suppose.
Je n’ai toujours pas lu le quart des écrivains voyageurs que j’aurais déjà dû lire. Quand cela m’arrive, je suis en général impressionné par leur sagesse. Ce sont des adultes qui voyagent, et je ne suis qu’un bambin impudique qui passe une adolescence (très) tardive sur les routes. Ou bien c’est juste une impression. Peut-être que tous ces grands personnages, de Bouvier à Amundsen, ressentaient eux aussi, juste avant de larguer les amarres, cette tension, ce stress qu’on apprend, non à dominer, mais à apprécier, voire à rechercher.
Je veux le croire.


On m’a regardé avec des yeux ronds lorsque j’ai annoncé mes deux destinations, la Bolivie puis l’Iran. Je reconnais que sur le papier, ça semble plus osé que la traversée du Bois Magneux (pour ceux qui connaissent cette jungle picarde microscopique). Pourtant, moi qui en serais tombé de ma chaise 20 ans auparavant, je n’ai pas hésité à partir.
Quand on demandait à George Mallory pourquoi il voulait faire l’ascension de l’Everest, il répondait “Parce qu’il est là.”
Y a-t-il réponse plus profonde? Le fait qu’il soit mort en cours d’ascension (ou de descente? Nous ne le saurons sans doute jamais) ne change rien à la beauté de sa justification. Pourquoi parcourir le monde? Pourquoi s’asseoir, comme disait Montaigne, “aux tables les plus épaisses d’étrangers”, et engager la conversation avec eux? Pourquoi aller dîner d’une misérable barquette de frites avec le garçon d’étage dont le regard pétille de fierté lorsque nous croisons son patron? Pourquoi se perdre dans la jungle? Pourquoi arpenter l’Iran, alors qu’il fait la une de tous les journaux?
Faut-il répondre?

(NB : certains noms de personnes ont été changés pour des raisons que le lecteur comprendra aisément).

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16 avril 2006 7 16 /04 /avril /2006 18:05
 

Dimanche, 21h14, Ispahan.

 


J’ai donc plié bagage de Shiraz plus tôt que prévu, et décidé de couper le trajet jusqu’à Téhéran en deux, suivant l’idée de Philip et Christine, deux australiens charmants et pleins d’humour. Lui a déjà arpenté le Moyen-Orient, essentiellement dans le domaine humanitaire, et ils confessent visiter le pays “avant que ça n’explose”.

Je n’ai pas adoré Shiraz. Belle ville, mais remplie de soldats en uniforme de toutes les couleurs. Une ville de garnison reste une ville de garnison. Deux spectaculaires casernes du Hezbollah gardent l’entrée nord de la ville…

J’ai eu le malheur de me laisser faire par les rabatteurs de la gare de Shiraz. Ces sagouins m’ont envoyé dans une cochonceté de bus Mercedes qui s’est traîné (484 kms en huit heures…) de village en village, à s’arrêter sans cesse pour proposer à tous les pèlerins de se joindre à nous. Mon voisin était la réplique benête de mon pratiquant sinistre du Téhéran-Yazd. Notre voisine de derrière l’a engueulé et sommé de me parler en anglais (“Qu’est-ce qu’on t’apprend à l’école?”) mais le couillon préférait de timides questions en farsi, chargées d’un accent couillon et trop rapide pour moi. Ajoutons que je ne desserrais pas les mâchoires de m’être fait embringuer dans cette charrette satanique… Il faut dire qu’un Mercedes, en Iran, est synonyme d’une épave bariolée des années 60-70, pétaradante et pilotée par des saligauds : un qui conduit, un autre qui sert les verres d’eau aux voyageurs et les verres de thé à ses copains, un qui change la face de la cassette (d’un type qui se fait arracher les dents) de l’autoradio, et le quatrième qui fume sa cigarette en contemplant ses doigts de pied étalés sur le tableau de bord. Le plus beau reste que 3 des 4 pieds-nickelés (et déchaussés) sont installés côte-à-côte, et que l’un de ces trois est le chauffeur.

Un vrai supplice, vous dis-je.

À peine arrivé à Ispahan, je ne marchande pas le taxi, (qui me surfacture, mais cela ne couvre pas mon économie folle du trajet en Mercedes) et me précipite vers le pont 33, où je m’attable à la maison de thé. Hasard, j’aperçois les deux Aussies sur la rive malgré ma myopie, leur fait signe et les invite. Un nouveau bon moment.

Pendant ce temps à Téhéran, une vaste conférence islamique fait la part belle à la “bonne nouvelle” récemment annoncée par le président. Les barbus tentent de tirer les marrons du feu et tirent de tous côtés. Palestine, Amérique, Israel, tout est bon, c’est la braderie de printemps en ce jour anniversaire de la naissance du prophète. Cependant, la rue n’a guère changé depuis la dernière fois. Le petit peuple reste de marbre et attend. Un nouveau profil mérite qu’on s’y arrête. Le patron de mon hôtel shirazi, élégant gentleman parlant un excellent anglais, a fait quelque 30 ans de marine. Je l’ai d’abord pris pour le propriétaire, il n’était que le gérant. Hier soir, traînant dans le hall étroit de l’hôtel (après un dîner frugal avec le brave Hamin, mon meilleur prof de farsi), je m’installai. Il m’offrit le thé et quelques souvenirs de matelot. Le bonhomme semblait regretter l’époque du Shah. Je lui donnai la cinquantaine et l’identifiai à cette génération précédente, celles des déçus de la Révolution, ceux qui considèrent que les mollahs ne font ni ne valent mieux que leurs prédécesseurs. Ah! le bon temps où, stationné en Angleterre, il accumula 52 girlfriends en deux ans (heureux homme!)! Je le regarde, l’imagine avec 30 ans de moins et le crois sans problème. La soirée s’effiloche paisiblement, entre souvenirs rhabillés de paillettes pour l’occasion et comparaisons entre la Perfide Albion et la Douce France, que le gaillard semble regretter de n’avoir pas connue.

Ce matin, c’est l’heure des adieux. J’attends le taxi que je partagerai avec Philip and Christine. Le sympathique boss, toujours so british, est là, et nous devisons encore. Foin du passé, il filtre moins : pour lui, l’Iran est sur la bonne voie, avec un bon gouvernement, surtout avec le président actuel. L’ancien buveur et coureur de petites anglaises est un peu plus sombre. Le président est bon pour les pauvres, il pense à eux. Lui, l’ancien marin qui ne savait que faire des montagnes d’argent que le Shah lui payait jadis, doit se casser les reins dans cet hôtel peu glorieux pour aider ses 5 enfants, tous à l’université ou en train d’en sortir. Il se compte au nombre des pauvres, à l’évidence. Il n’a pas tort : les perspectives ne sont pas souriantes pour les jeunes diplômés (ce que Bamdod m’exposait hier, lui qui avait dépendu de ses parents passés trente ans). Le système social actuel lui promet de longues années derrière ce comptoir. Alors il évoque avec confiance le programme social d’Ahmadinedjad. Programme immobilier, maisons abordables… Mais aussi remplacement progressif des hommes de l’appareil, avec installation d’hommes à lui, “des gens biens, intègres”. le président consolide, sans faire de bruit à l’extérieur, mais avec décision. Cela, le monde ne le voit pas, et une bonne partie des Iraniens non plus. Normal : nous avons tous les oreilles braquées sur les déclarations incendiaires du personnage.

Avant que mon taxi n’arrive, le vieux marin doit sentir mon incrédulité sur le chapitre, ou flairer ma fausse naïveté, et il tente une étrange sortie pour justifier son président : me demande si j’ai entendu parler de l’Holocauste. Je lui dis que oui, bien sûr, à l’école, comme tout le monde. Il avance qu’il y a trente ans, en Angleterre, il avait entendu parler d’1000000 de juifs tués, puis qu’aujoud’hui de 6000000, jetés au feu par Hitler. Et il n’y aurait aucune trace écrite. “Je ne sais pas, j’ai des doutes…” Mauvaise foi? Volonté de suivre le leader? Attention, terrain miné. Les plus riches que lui m’ont affirmé indifférence au discours, voire franche haine du président. Les plus pauvres que lui ne pensent pas à ces considérations, d’après le peu que j’ai vu. Mais lui ! Cet homme n’est pas un âne, il m’a lui même prêché l’amitié entre les peuples, pas si différents les uns des autres. Cet homme ne hait pas. Il n’arrive pas à tenir un discours fanatique. Mais il s’y essaie… Il ne devrait pas, il semble le savoir, mais… Voit-il une autre solution que de suivre le mouvement?


Ce soir chose vue à l’extrémité du pont 33. alors que dans la maison de thé, des p’tits gars m’ont proposé de m’acheter mon passeport, sur la rive, deux voitures se sont arrêtées. On accroche les banderoles et on plante les drapeaux palestiniens. La sono braille. Je comprendrai plus tard qu’il s’agit d’un mouvement de solidarité, en relation avec les déclarations officielles… Hé bien, heureusement qu’aucune caméra de télévision, locale ou étrangère, n’était là pour immortaliser l’instant ! En effet, c’est une totale indifférence qui recevait les paroles de la bande enregistrée. Je ne parle même pas des trois ou quatre organisateurs, morts d’ennui, plaisantant entre eux. La jeunesse d’Ispahan? Trop occupée à se draguer à qui mieux mieux… Toute cette scène renvoie à des slogans quadragénaires concernant l’amour et la guerre…

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