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Mes virées, mes carnets...Bienvenue chez moi. C'est-à-dire nulle part.

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29 mars 2005 2 29 /03 /mars /2005 13:02
Rien que ça! Le voilà qui s'approprie le maître Joseph Conrad!
 
Ben oui, mais vous savez bien que Conrad est un de mes maîtres, et que ceux qui n'ont pas encore lu Coeur des Ténèbres (Heart of Darkness, Corazon de las Tinieblas, et, euhhhh, bref, cherchez, les autres) devraient le faire illico presto.
 
Salut les amis, la familles, les joyeux compagnons, et tout ça dans le désordre.
 
Vivant. Je suis vivant.
 
Comment commencer? Comment revenir sur une semaine d'épreuves, d'effort, de beauté et de rudesse qui s'est achevée dans un délire de nature, de drogue et de privations?
 
Des allers et retours, peut-être. Commençons dans le désordre, l'ordre se fera peut-être au fil de mes frappes. Et ceux qui le souhaitent, les fans, recevront l'intégrale de mes carnets dûment recopiés dès mon retour à Mexico, y a qu'à en faire la demande, et le Raph vous livre ça chez vous.
 
Ici La Paz, une fois de plus. Vous allez dire que je pompe Apocalypse Now, ce qui est logique puisque j'ai commencé par siphonner Conrad (qui inspira le film, pour ceux qui l'ignoraient encore). Réveillé pas du métal qui tombe dans une caisse en métal, et les bruits de la rue, les sifflets et les klaxons. Une chambre de 5m sur 2, le lit qui prend toute la place, la télé que je n'arrive pas 'a faire marcher, et d'ailleurs je m'en fous. Un miroir m'a renvoyé une image invraisemblable, hier soir. Amaigri, sec comme un coup de trique, sale, des brindilles encore plantées sous la peau, des mains et des bras, et de la terre sur le visage. La peau brûlée, les lèvres gercées. Même respirer m'épuise, aujourd'hui.
Hier, dans le bus qui me ramenait à La Paz, la fenêtre ouverte sur les gouffres qui défilaient à parfois 20 centimètres des roues, je recevais le vent, je lorgnais les flancs, ceux de la montagne bolivienne, dont la couleur n'est finalement que rarement blanche. Je l'ai appris à la dure, cette semaine. La montagne est verte. Un vert sombre, qui la recouvre presque entièrement, depuis ses crêtes parfois habitées d'un hôtel grand luxe jusqu'à ses profondeurs marécageuses ou tourmentées de rios violents. Sous les 3000, la jungle.
 
Je savais que la fin serait éprouvante. Mes carnets disent qu'au matin de ce que je pensais être le dernier jour, j'étais prêt à donner l'assaut final.
 
Et avant? Qu'avais-je fait pour être aussi sombre, aussi dense, ramassé sur moi-même, à flanc d'une montagne, dans une humidité gluante, comme la boue qui avait englouti mes pieds jusqu'aux mollets?
 
Marché. J'avais marché. J'avais commencé dans la bourgade de Tres Rios. Descendu d'un de ces camions-bus si pittoresques à la télé, manoeuvrés par des sagouins qui font hurler des freins agonisants dans les descentes de chemins de traverse, j'avais commencé par rassembler mes affaires, et me diriger vers une sorte d'auberge, ou de restaurant, ou de cabane à peine aménagée. Y avait des voix, celles de deux gnomes d'une vingtaine d'années, bonnet sur la tête, jogging, oeil hagard, manifestement bourrés. "Como estas Pééééé?".
J'ai répondu que bien, et que oui, je voulais bien manger, et même boire. Et l'autre, là, le meneur, le "Pééééé", s'installe en face de moi. C'est un Péruvien, c'est pour ça qu'il ponctue avec des Péééé comme des Argentins diraient Che, et des Marseillais Putaing ou Enculé. Je me dis, ils sont déja bien farcis, finissons-les, admirez la maîtrise du Grand Blanc, j'attrape une bouteille dans chaque main et je verse en simultané. Oh, Ah, Wouah. Je garde quand même un oeil dans la nuque, pour surveiller mon sac, parce que ce Ramiro m'a tout l'air de la mauvaise graine.
J'avais raison. Qu'y a-t-il de pire que de se réveiller avec la gueule de bois? Supporter les divagations d'un ivrogne de vingt ans. Ce Ramiro me demandait environ toutes les deux phrases comment j'allais, et que c'était la fête à Tres Rios, et qu'on allait s'amuser, et qu'on allait boire. J'ai commencé à lui faire comprendre que ce serait sans moi. Ramiro dit, je suis venu du Pérou pour la semaine sainte. Je lui réponds que c'est bien (Et j'en pense que je m'en fiche comme de l'an quarante, et que je veux dégager de ce guêpier, que Tres Rios est sordide, sinistre, et rempli de saligauds comme celui-là. En plus il fait pas beau.).
Et là l'horreur déboule sans prévenir. "Y que tal las Cholitas? Pééééé? Para joder? Péééé?".
Je traduis pour les non-hispanophones. "Et les petites Indiennes? Heeeeeeein? Pour la baise? Heeeeein?".
Vous aimez le racisme, le sexisme? Ramiro est fait pour vous. J'avais déja pris sur moi pour ne pas vomir sur mon voisin de bus qui me posait la même question, clin d'oeil salace et coup de coude, hein mon vieux, hein, les p'tites Indiennes? Comprenez-moi bien, je n'ai rien contre une bonne plaisanterie, fût-elle de mauvais goût. Mais là, la boucle se boucle: Ramiro m'a lancé fièrement qu'il était un indien Aymara. Et m'a prouvé qu'il maîtrisait sa langue originelle. Mais les Cholitas, hein, c'est pas pareil,hein, Péééé, hein, pour la baise, pour s'amuser, hein, qu'est-ce t'en dis Péééé...
Je ne lui dis rien, je dévie, je lui dis que ouais ouais, et que c'est pas tout ça mais qu'il va bien falloir y aller (il s'en fout, il recommande un litre de bière et danse abominablement sur une musique abominable). Ici, la Cholita, ce n'est même plus un être humain. Cet immonde porc (et je pèse mes mots) était prêt à passer de la fierté ethnique au proxénétisme, au maquereautage piteux, parce qu'au-delà des différences qui font qu'un grand blanc et un petit Aymara c'est pas tout à fait pareil, il y a la fierté et la connivence supposées du mâle. Et qu'on est entre nous, hein, les Cholitas c'est pas pareil, nous on peut boire des coups ensemble, les Cholitas c'est pour la baise...
 
Autant vous dire que j'ai fui Tres Rios. Histoire de minimiser les risques, j'ai fait boire Ramiro jusqu'à ce qu'il danse de moins en moins vite, puis je me suis levé, bien droit bien raide, j'ai fait craquer toutes mes jointures bruyamment en le regardant droit dans les yeux sans sourire, et quand son copain m'a demandé quel âge j'avais et quel travail je faisais, je me suis ajouté cinq ans et je me suis inventé une carrière passée de dix ans dans l'armée. Sans sourire. Et puis je suis sorti, et je me suis barré de ce bled effrayant, sans regarder ma carte, sans rien sortir, j'ai laissé la brume moite se refermer sur le spectre du grand blanc.
 
Ça doit en faire marrer un paquet d'entre vous, ça. Raphaël le Militaire! Mais pour un petit salaud comme Ramiro, à qui j'ai promis de repasser sur le chemin du retour, ça a suffi.
 
Ce n'était que le début d'une légende.
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