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Mes virées, mes carnets...Bienvenue chez moi. C'est-à-dire nulle part.

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29 mars 2005 2 29 /03 /mars /2005 13:04
Cette ordure de Ramiro m'a obsédé trois jours durant. Je revoyais sa sale petite gueule se balancer quand il dansait, son rire merdeux, et ses propositions dégueulasses. Merde, me dis-je, le prochain qui sort une blague sexiste devant moi, je l'étale direct. L'overdose de machisme. Je repensais à ces femmes massacrées à Ciudad Juarez, balancées aux ordures après usage, et me disais que derrière certains de ces cadavres, il y avait des Ramiro, de ces salopards qui vous lancent des clins d'oeil quand vous les captez en train de reluquer les fesses de la jolie fille qui va aux toilettes, dans l'avion. Comme ces deux crétins qui me servaient de voisins dans l'avion Mexico-Miami. L'Internationale du machisme existe, et elle transcende pas mal de frontières, sociales, ehtniques, culturelles.
 
J'enrageais en sortant de Tres Rios. Je voulais monter, grimper. Foutre le camp de cette civilisation, je parle de la civilisation en général. Et là, il y avait encore des petits bonshommes qui me suivaient. JE suivais la route, alors que le chemin aurait dû m'emporter dans le hauteurs, mais comme j'ai dit, pas envie de sortir la boussole ou la carte dans le contexte, et les habitants, pour eux, y a qu'une route c'est la route. Adieu mine abandonnée de Siberia, de toutes façons aujourd'hui on ne voit rien. Finalement, y en a un qui me rejoint, ou l'inverse je ne sais plus. Il a onze ans, en paraît quinze, et se propose de m'accompagner jusqu'à son village. Je n'y vais pas, à son village, et il ne s'imagine pas queje veux déguerpir de toute face humaine, rien voir, rien entendre, marre des gens. "Comment tu t'appelles? -Ramiro." ARRRRRRRRGH!!!! Tout le monde s'appelle donc Ramiro, ici. Bon, celui-là est moins désagréable, on discute, mais tout timide, il me regarde à la dérobée, et se demande visiblement ce que fabrique un Güero dans le coin, et à pied. Avec un sac gigantesque. N'importe quoi, le mec,  en somme.
 
Oh, la nature, je l'ai vue et eue. J'ai eu le temps de purger ma mémoire de la face infâme de Ramiro premier. Quand j'étais sous ma tente, au troisième jour, par exemple. À côté du Cerro Aro Pampa, un petit col tout vert, et le ras-le-bol de ne rien voir. Au petit matin, mon conseil de sécurité intérieur a décrété les sanctions contre la brume incessante, et même la plui qui m'avait agressé le matin même: Pas un pas de plus! On attend. L'Illimani et ses 6000m sont à côté, et je n'ai encore rien vu! Des clous! Ni Madre! Je n'avance plus, j'ai pas fait des milliers de kms, payé plein d'euros et subi Ramiro pour en plus ne rien voir. La biographie du Che par Paco Ignacio Taibo II et ses 700 pages devraient suffire à m'occuper, la journée s'il le faut. Il le fallut. 24h d'attente, juste pour un paysage, que j'avais entrevu la nuit précédente, impressionant, à la lueur d'une lune presque pleine. On n'était plus très loin de la fameuse lagune aux serpents, la Kasiri, et je voyais au loin se dessiner des chaînes évocatrices du Mordor de Tolkien. Pas rassurant? Ben non, en fait, je me sentais bien, je regardais passer les gens, ceux qui me lançaient, pour me vanner, que je ferais mieux de descendre vers le beau temps, ou que ça y était, il faisait jour, qu'il fallait se lever (L'Internationale des Connard existe donc bel et bien, y a vraiment des gens qui s'ennuient dans leur tête).
 
Je digérais. Je laissais se diluer la première nuit. Totoral. Estancia Totoral, pour être exact. D'après mon guide, "un village joyeux, pittoresque, apparemment perpétuellement engagé dans une partie de football." Infâme Hilary Bradt (auteur du livre)! Rien de pittoresque, rien de joyeux dans mon regard. Celui de la nuée d'enfants qui m'entouraient à mon arrivée était effectivement joyeusement curieux. Un Blanc! A pied! D'habitude, ils passent à cheval. Je me demande à présent si ces cavaliers blancs sont de ces touristes organisés ou les fantômes des enfants de cochons qui, de conquête en aplatissement culturel, ont apporté la télévision mais oublié d'amener l'école.
La misère, voilà ce qu'est Totoral. Des mômes minuscules, qui marchent en sandales défoncées, vêtements troués, visages abîmés, qui vous demandent de quel village vous venez. Je réponds Mexico, j'oublie la France, parce que Mexico, ici, ça n'existe déja pas. Et mon village, il est grand? Oui, dans les 20 millions d'habitants. Bon, je me mords les lèvres, parce qu'ici, on ne compte rien par millions. Totoral, le monde à la dizaine.
Et ton équipe de foot? Les Pumas, les Pumas de Mexico. Ah, là, réaction. Admiration. On me récite des noms, et j'acquiesce, je dis oui, mais ils ont perdu il y a deux jours, mais c'est pas grave, on va rencontrer les Chivas, et on va les massacrer, ils sont nuls.
Et les gosses, dont maintenant deux ou trois grands gars, de répéter d'un air rêveur, "les Pumas de Mexico..." Je monte ma tente, je fais le clown, j'en fais des tonnes, ils se marrent quand la tente s'effondre juste après que j'ai déclaré fièrement, "mi casa!".
Au fait, savez-vous où nous sommes? Je campe sur le terrain de football. Là, pas de problèmes, dimensions règlementaires. Des ânes et des poules se baladent et chient dessus, une moto abandonnée trône pas loin de moi. Il fait froid, humide. Les gamins vont chercher un ballon pour jouer avec Raphaël le Mexicain. Moi je leur dis, je suis nul, fatigué et conscient de l'obscurité qui avance, mais ils commencent quand même à me bombarder. Un oeil sur la tente, sait-on jamais, je jongle et dribble. Ça doit aussi en faire se tordre de rire, hein les gars, Raphaël qui joue au foot? Ouais, vous n'imaginez pas. Contrôle de poitrine, coup de tête... Je n'invente rien.
 
Au petit jour, après ces 24h d'attente, j'ai triomphé. Grand beau temps. Paysage promis, paysage dû. J'ai dansé tout seul en chantant et en insultant tous ces cons qui rigolaient hier, en me regardant planqué sous ma tente. Moi au moins, j'ai un paysage! Je suis parti bien tranquillement, tout remballé bien sec, pas en courant comme pour fuir Totoral ou Tres Rios.
Ça commençait pour de bon. J'ai finalement laissé les dingos qui voulaient m'entraÎner vers la Laguna Kasiri, une bande de jeunes qui trimballaient manifestement tout un tas de joyeusetés pour s'amuser sur le bord de la Laguna. "Ouaaaaaaaais, vieeeeeeeeens, meeeeeeec.....Naaaaaaan, y a pas de serpents géaaaaaaaants...." De toutes façons, fallait monter, descendre, monter, et avec 25 ou trente kilos sur le dos, hein... J'ai donc choisi de contourner Khala Ciudad, massif de montagnes (et pas une ville, comme je le croyais comme une andouille) par la gauche plutôt que par la droite, n'y voyez aucune allusion politique.
 
Une journée de rêve. Une piste Inca, ou pré-Inca, une sorte de chemin pavé. Le soleil. Des vallons abrupts, avec des chevaux, peut-être sauvages, en train de paître au fond. Des passages encaissés, des canyons miniatures. Du vert, de l'herbe fraîche, des petits ruisseaux, et ça monte, ça monte... Merci maître Jan, le frère d'Allan qui m'a prêté son altimètre. Objet curieux, enchâssé sur un couteau suisse, qui fera l'admiration du groupe de Gustavo et des autres. J'avoue que j'étais sceptique, mais c'était parfait et totalement fiable.
 
J'ai marché, tranquillement, paisiblement, me suis arrêté souvent, rien que pour regarder, respirer. Même plus un de ces bergers qui s'arrêtaient tous pour me demander un bonbon, avant de me tendre une patte rêche pour me saluer.
La liberté, en somme, un vrai petit bout de Thoreau au milieu des Andes. Des paysages qui se succèdent, malgré des nuages qui montent doucement, lourds d'eau.
 
Ils m'avaient dit qu'ils continueraient pendant quatre ou cinq heures, selon leurs forces. "Ah? Vous allez terminer ce soir, alors?" Ouais ouais ouais, m'a répondu Gustavo, Bolivien à l'allure de Fakir. J'ai continué, mais je ne les ai pas revu avant le lendemain, où ils m'ont expliqué qu'ils avaient préféré camper, une de leurs camarades étant blesée au genou. Ah, ça, évidemment...
 
24h plus tard, on se connaîtrait encore mieux, Quand un autre d'entre eux, alors que je leur donnais toute ma nourriture superflue en prévision de l'assaut final, pour m'aléger, quand Vladimir m'a surnommé "El Profesor" et fait applaudir pour ma générosité.
 
Elle ne marchait décidément pas vite, mais à ce moment-là, encore suffisamment pour que je ne me sente pas trop retardé en restant derrière elle. Mariana, s'appelait-elle. La copine de Leonardo, j'y reviendrai. Un peu fière, elle ne voulait pas me croire quand je lui conseillais de plier plus le genou dans les descentes, histoire de faire fonctionner l'amortisseur. Moi j'm'en foutais, j'avais déja des stigmates´christiques, en m'étant banané comme un idiot, à admirer la montagne sans regarder où je mettais les pieds. Du coup, j'y ai mis les main, la droite notamment, sur un caillou qui m'a bien éraflé la paume droite. Coup de trouille, demain ou après-demain je suis dans la jungle, désinfectons gaiement. On a beau dire, c'est comme quand on était petit, ça piiiiiiiique!
La troupe de Gustavo, dont faisaient partie Mariana et Leo, je les ai retrouvé un peu plus loin. Ils commençaient s'amuser de me voir revenir toujours à leurs basques, jamais bien loin, toujours prêt à lancer une plaisanterie ou un clin d'oeil. Moi aussi, ça m'amusait. J'étais très bien tout seul, et même si on avait tous à peu près le même âge, on ne faisait pas semblant de fraterniser pour se donner un genre. Y avait là-dedans toutes sortes de visages, des bohèmes et des altermondialistes évidents, des chevelus... Je me suis rendu compte que là, avec mon matériel high-tech (l'altimètre les faisait bien rire, et mon petit rituel de la carte et la boussole aussi, mais ils ne détestaient pas se pencher par-dessus mon épaule), mes cheveux courts et juste une longue barbe, je n'avais plus rien à voir avec l'image de joyeux fan de heavy metal que je donnais de moi-même il y a encore peu. Merde! J'avais l'air d'un bourgeois!
 
J'hésite. Il y a une pierre, là, et une autre après... Mais il faut se baisser, les branches sont basses... Et là, à sonder avec le bâton, il y en a pour un bon 20 centimètres d'une eau pas engageante du tout... Allez, j'y vais. Premier pas, ok, deuxième, ah, non, plouf, et replouf, et oh putain, c'est vachement profond, et merde, mes chaussures sont submergées, c'est froid, on dirait que ça m'aspire, j'y mets la main, celle qui saigne encore, merde! J'avais rêvé, à La Paz, que je tombais dans un trou de vase et que je m'y noyais, tout seul dans la jungle bolivienne. Je me sors de cette cochonnerie, je râle, je peste. Et puis je me dis, merde, on le savait, on dégage, on s'est préparé pour ça, alors on y va, on continue et on arrête les pleurnicheries. Et une heure plus tard, je retmobe sur la bande à Gustavo, avec qui on s'était dit, "oh, ben on campera ensemble, si vous allez jusqu'au Cerro Astillero".
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