Depuis quelques années déjà, je m'amuse à partager des photos sur des réseaux sociaux, dont le fameux Instagram. Je n'entre pas dans les débats éthiques, je n'y investis pas plus que mon amusement personnel, et j'accepte les termes du contrat, c'est-à-dire que je m'en fiche. Je joue les Doisneau du pauvre, quand je trouve quelque chose d'amusant ou de beau, je profite de la technologie moderne pour enregistrer le moment, et puisque je peux le partager, eh bien je le partage.
J'ai ainsi pu faire découvrir ma paisible petite ville presque natale au monde entier, mais oui mesdames messieurs, croyez pas ricanez pas, on y vient on y vient.
Un jour de juillet de cette année, sans doute le 11, le 12 peut-être, je passe devant le célèbre (mais pas encore mondialement) hôtel de ville d'Amiens. Là-haut, perchés dans un nid d'oiseau semblables à la cabine de la vigie des bateaux pirates, une nacelle que ça s'appelle, même, bref, deux braves employés municipaux s'affairent à accrocher des drapeaux. ils sont bien haut, je dirais dans les 15 mètres, rien que d'y penser j'en frissonne. Pas leur contremaître-superviseur, qui se marre et les interpelle quand je dégaine mon téléphone pour les prendre en photo (songez à cette fin de phrase. Il y a une quinzaine d'années, elle n'avait aucun sens.). Clic-clac, merci qui vous savez :
Et comme je disais, je reprends mon chemin. Quelques heures plus tard, je prends le temps de m'amuser un peu avec, histoire d'en faire quelque chose qui plaise à la galerie. Depuis quelques temps, nombre d'anciens élèves m'ont fait savoir que mes photos amiénoises les emplit de nostalgie. Et même, j'ai commencé à comprendre que le drapeau français, à l'étranger, n'était pas du tout assimilé à certaines valeurs inquiétantes comme chez nous. Bref, qu'il n'était pas confisqué. Qu'il faisait rêver. Alors je me dis, ne faisons pas les choses à moitié, et j'en fais donc cela :
Peu de modifications, le filtre "Amaro" je crois, ou "Earlybird", dont j'étais très friand à ce moment, le recadrage carré (Instagram oblige), et hop, je poste. enfin, presque : j'insère quelques mots-clefs, des "hashtags" comme on dit, précédé d'un # dont nous Français ignorions presque tous l'usage jusqu'à présent, sauf les musiciens bien sûr. Parmi les mots clefs, je place #14juillet, parce qu'après tout c'est bien de cela qu'il s'agit.
Et puis je n'y pense plus. Je reçois sur mon téléphone quelques notifications, mon petit public (environ 180 personnes, essentiellement des amis) aime bien cette petite photo, et passe à autre chose.
Amis amiénois, vous aurez noté qu'il s'agit bel et bien de notre hôtel de ville.
Et alors? Et alors? Et alors?
Alors le 14 juillet, au sortir d'un concert, vers 22h30, je rallume mon téléphone et constate vite que quelque chose a changé. Je reçois notification sur notification, des dizaines, pardon, des centaines. Mon compte Instagram explose, pour tout vous dire. Des inconnus s'abonnent à mon "flux" de photos, et "aiment" des vieilleries "postées" depuis quelques mois (pas évident d'écrire en français classique pour traiter d'un sujet très actuel). Parmi les nombreux commentaires, des félicitations pour avoir été choisi. Choisi? Choisi pour quoi? je n'ai rien demandé, moi!
Réponse : ma photo a été choisie par l'équipe du blog Instagram (link) pour... roulement de tambour... représenter, que dis-je, illustrer, symboliser, personnifier le 14 Juillet! Avec pour légende une petite explication disant que nous autres Français nous préparions à la fête.
Ce jour-là, sur le blog d'Instagram, voici à quoi cela ressemble :
On retrouve notre hôtel de ville en bas à droite.
Dites ce que vous voulez, ça fait un choc. Un tas d'inconnus se précipitent pour vous féliciter. Sur ma "page" Instagram, ça donne ceci :
comme vous le voyez, 135 personnes (dont un paquet d'inconnus) ont cliqué sur "j'aime", et un certain nombre me congratule pour avoir été choisi. Assez rapidement, je ne peux plus les remercier un par un.
Bien plus impressionnant, vous retrouvez ma photo de notre hôtel de ville sur la page d'Instagram sur Instagram, c'est-à-dire Instagram en tant qu'utilisateur. il y a quelques jours, ça donnait ceci :
Et là, nous parlons de près de 300 000 "likes" comme on dit. Et on approche les 2000 commentaires (dont certains n'ont rien, mais alors rien à faire là, du type "Cher Instagram, moi aussi j'aimerais être choisi, comment faire?" Moi j'ai la réponse, nigaud : prend l'hôtel de ville d'Amiens en photo!).
Pour information, le compte d'Instagram s'enorgueillit d'être suivi par 36.65 millions d'utilisateurs. Un peu moins avant ma photo, mais je ne crois pas dans un lien de cause à effet (à part ma propre adhésion, bien sûr). On peut donc se risquer à dire que cette photo a été vue par plusieurs millions de personnes. Ma petite photo, à peine cadrée, retouchée à la va-vite.
Je ne peux pas nier que cela m'a fait quelque chose. A l'évidence, maintenant, le 14 juillet aura une petite résonnance toute personnelle. Jusqu'à présent, je reprenais volontiers les vers de Brassens sur le sujet. Je dois aussi reconnaître que savoir que ce que vous avez vu a été vu par des millions de personnes, le tout parti de votre petit téléphone, en passant devant le magnifique hôtel de ville d'Amiens, oui, ça vous fait légèrement trembler des genoux quand vous devez "poster" la photo suivante (le nombre de mes "followers", suiveurs, abonnés, est passé de 180 à près de 450 en quelques jours).
Je dois également avouer que, moi qui ne me suis jamais considéré comme un photographe (mais vu ce que je vois parfois sur Instagram, je devrais probablement arrêter la fausse modestie), je dois beaucoup à Instagram. Non pas mon éphémère gloire, mais la stimulation de rechercher la meilleure photo possible dans les conditions données par Instagram : cadre carré, nombre d'effets limités et répétitifs, etc. De la contrainte naît la créativité, dit-on. Merci Instagram, et merci l'hôtel de ville.
PS : notez bien que pour Instagram, nous avons sous les yeux une vue injustement méconnue de... La Tour Eiffel. Bravo.